La timidité de l’ensemble fut soulignée dans certains quotidiens, un concert par ci par là et puis des bidules officiels consensuels à souhait, aller les négros tirons un trait sur le passé .
150 ans, mine de rien, c’était hier. Et comme le dit Picouly c’est tout frais dans l’esprit des noirs de ce pays, [1] et dans la tête des autres alors ?
Je veux bien croire que ce ne soit pas le sujet privilégié des banquets de famille de France et de Navarre mais quand même on aurait pu faire un petit effort. Il m’arrive de penser que ce ratage n’est qu’une facette d’un mal bien plus grave sur lequel je ne saurais pas mettre qu’une seule étiquette mais que je vais essayer d’exposer ici.
Tout d’abord quelques rappels historiques et géographiques : les Antilles se situent dans la mer des Caraïbes et ça c’est près des États-unis. Et pas à côté de l’Afrique comme le suggéra une fois une de mes connaissances , professeur de français de surcroît. Mais alors pourquoi les antillais, ils sont noirs ? Et bien, ils sont noirs non, pas parce qu’il fait chaud et qu’il y a des cocotiers, mais plutôt à cause de l’histoire du peuplement de ces îles [2].
Mais alors ces gens là sont-ils grillés par le soleil ou sont-ils mal lavés ? Ni l’un ni l’autre. Au 15e siècle, après avoir cherché à rejoindre les Indes d’un côté puis de l’autre, des navigateurs portugais, vénitiens.... armés par quelque royaume d’alors s’échouèrent sur les rives de « nouvelles contrées » par delà les mers, vers l’ouest. Comme ces contrées étaient propices à différentes cultures agricoles, on s’essaya à faire pousser quelques plantes (canne à sucre, café, cacao, coton...) tout en se creusant pour trouver l’or qu’on était venu chercher. On demanda pas très gentiment aux autochtones (améridiens en général et caraïbes ici par exemple) de donner un sérieux coup de main. Ces abrutis n’ayant malheureusement pas supporté d’attraper la grippe, on fit venir des petits gars de chez nous, mais eux ne supportèrent ni la chaleur et puis, on s’en rend toujours compte aujourd’hui ces cons d’ouvriers européens, ils veulent se faire payer décemment et puis ils font grève, parfois quand leurs conditions de travail sont trop dures.
On s’était déjà essayé à faire travailler des négros sans les payer du côté de Madère, des Açores puis de Sao Tomé, pourquoi changer une équipe qui marche, alors, sous l’impulsion des Portuguais, mercantilisme et esclavage s’unissent dans une union sanglante qui donnera le jour à l’une des plus grandes déportation de l’histoire de l’humanité.
Entre le XVe siècle où commence la Traite des Noirs et 1848 date de l’abolition de l’esclavage en France et dans ses colonies , quelques douze à quinze millions d’hommes et de femmes seront arrachés à l’Afrique et dispersés sur le continent américain.
Le commerce triangulaire repose sur une logique de rentabilité économique, des enjeux géopolitiques qui favorisent et encouragent l’expansion coloniale et un contexte idéologique et politique propice, bref un ensemble conjoncturel construit de tel façon que chaque élément en justifie un autre.
Je m’explique : l’Europe ne peut pas produire elle même sur son territoire métropolitain les matières premières dont elle a besoin pour fabriquer les produits qu’elle écoule. Que faire pour que ces matières premières qu’il faut faire venir de loin à grand frais coutent le moins cher possible : faire travailler les ouvriers pire que des nègres que dis-je faire travailler les nègres pire que les ouvriers ? Mais comment justifier que l’on traite de telle façon des êtres humains ? Impossible. Alors quoi ? Renvoyons du côté du non humain, du côté de l’animal, ces bonshommes dont la peau est aussi noire que le mal : on achève bien les chevaux et les négros .
De la marchandise, du bétail donc. Les Nègres n’ont pas d’âmes, ne sont pas des hommes, juste une main d’œuvre à très bon marché comme peut l’être un cheval de trait, un bœuf, des chèvres. De ce fait il faut donc suivre les méthodes habituelles pour s’assurer de la rentabilité de l’ensemble : vérifier les yeux,les dents, les parties génitales, trouver de bonnes reproductrices pour accroître le cheptel, en respectant comme aujourd’hui pour la pêche une zone territoriale de traque (les nations occidentales se partagent le gâteau).
Pour pas les perdre on les marque on les parque, puis on les embarque. Même si le commerce est organisé avec des ressortissants africains, on peut pas dire que les candidats au départ se bousculent autrement que pour sauter du pont direct dans la gueule des requins ou avaler leur langue, bref, se suicider plutôt — quels cons ! — qu’ accéder le sourire aux lèvres aux joies de la civilisation. Il y a des mutineries, des révoltes à terre, à bord, aux colonies, donc les esclavageurs se creusent le crâne pour trouver des supers moyens (émasculation, découpe des mains, des oreilles... collier de cou à tige, truc pour empêcher de manger etc..) d’entraver ces bestiaux qui ne se laissent pas faire, tout en tâchant de ne pas trop les abimer, pour limiter les pertes matérielles.
Ici tout est affaire de commerce, où est le problème puisque le trafic en enrichit plus d’un : les marchands, les villes, les états... et comme le pensent beaucoup alors, les esclaves eux-même puisque grâce à la traite les négros vont enfin accéder à la civilisation et au christianisme.
L’hostilité grandit en Afrique cependant que dans l’imaginaire occidental, l’africain, le noir, le nègre prend une connotation péjorative, concentre tous les mépris. On peut je crois, avancer une corrélation significative entre cet imaginaire, entre cette connotation négative des peuples noirs et la nécessité de justifier le commerce du "bois d’ébène". Il y a un lien indissociable entre la construction du discours sur les noirs et instrumentalisation de leur personnes.
Les conditions à bord des navires et dans les plantations sont effroyables, la description des traversées puis de la vie quotidienne mériteraient à eux seuls un article. A terre il faut défricher, planter, cultiver, récolter, sous les claquements de fouets. La vie sur les plantations est partagée entre le travail et le travail. Les moins robustes sont domestiques à la maison du maître, puisque c’est comme ça qu’on les appelle, ou éliminés . Les vieilles peuvent garder les enfants par exemple.
La relation au sein de la maisonnée est ambigüe puisque les esclaves partagent souvent la vie des enfants, les élevant parfois, et parfois même assistant le planteur et la plantureuse dans leurs tâches quotidiennes tout en restant attachés aux même statuts.
Les esclaves sont parfois mariés sur les plantations mais il est rare que les familles restent ensemble, les maris sont vendus à droite à gauche. Le fait que la cellule familiale ait toujours été éclatée explique pourquoi les sociétés antillaises sont toujours aujourd’hui matrifocales : la seule famille possible sur les plantations c’est celle que forme la mère et ses enfants.
Mais la natalité est quand même faible alors que beaucoup d’esclaves meurent, ce qui oblige les planteurs à déporter toujours plus et à renouveler régulièrement leur stock de main d’œuvre. Vers les années de la fin de la traite, alors que les états commencent à légiférer, la tendance s’inverse puisque les planteurs sélectionnent les nouveaux arrivants en fonction de leur potentiel reproducteur : puisqu’on ne peut plus en acheter on va
en faire sur place !
Dès le milieu du 16e siècle des révoltes éclatent mais il faudra attendre le 18e pour voir une concrétisation politique de ces soulèvements avec l’épopée de Toussaint Louverture à Saint-Domingue. Les soulèvements sont nombreux partout où il y a des esclaves et sont généralement réprimées dans le sang. Beaucoup d’esclaves s’enfuient dans les coins reculés et s’organisent peu à peu : ce sont les nègres marrons.
L’esclavage avait été supprimé en France pendant la révolution, mais en 1794, mais ce cher Bonaparte l’avait rétablie pour faire plaisir à sa pétasse, Joséphine de Beauharnais qui possédait une propriété en Martinique, La Pagerie (qui fut dans un impossible juste retour dynamitée par des indépendantistes en 1991).
Il y a une forte tendance à présenter l’abolition de l’esclavage comme un geste de bonté d’occidentaux bien pensants, genre "merci bwana de m’avoir libéré". Leur travail n’est pas à négliger, mais il ne faut pas oublier qu’ils ne furent pas les seuls à se battre pour ça.
En France la traite prend fin en 1827. La résistance est forte chez les planteurs et chez tous ceux pour qui ce commerce est la base de toutes leurs richesses (je pense en particulier à des villes françaises comme Nantes) : on craint pour l’effondrement de ses bénéfices.
Je signalais que d’autres peuples s’étaient faits avoir dans l’affaire : ainsi et dans une moindre mesure, après l’abolition, on importa de Chine et d’Inde une série de travailleurs forcés qui, s’ils ne portaient plus le nom d’esclaves, travaillèrent au moins autant qu’eux. Leur nombre fut dans les îles françaises moins élevé que dans d’autres parties du monde.
Donc, voilà le rappel est fait : si des pays comme Haïti, la Jamaïque, Trinidad...sont des nations nègres c’est pas parce qu’il y fait soleil.
Voilà donc 150 ans que l’esclavage en France c’est fini. Les quelques fois où l’évènement fut souligné, on insista bien sur le fait que dans de nombreux endroits dans le monde, et en Europe même, de nouvelles formes d’esclavage prospéraient. C’est vrai mais en même temps, mettre l’accent presque uniquement sur ce point là , c’est surtout refuser de regarder le passé en face.
(A suivre : Cencinquantenaire de rien (2/3) )