La torpeur du réveil brouille les limites de ma perception. Je ne sais plus ce qui tient du brouhaha sonore du radio-réveil [1] des brumes de mon conscient en prise directe sur la peur que génèrent les derrières nouvelles du monde matinées du dring dring de l’autre réveil à l’autre bout de la pièce.
Il paraîtrait qu’un français sur 3 soutiendrait les idées du front national, mais au fait, je ne crois pas aux sondages. Un élu du parti socialiste dit que c’est de la faute à Sarkozy, mais aussi au manque de rigueur des gens de son camp qui se laissent aller à surfer sur les réponses simplistes de l’extrême droite. Pour Devedjian c’est la faute des émeutes en banlieue, et puis bon hein, quoi il faudrait savoir ce qu’on lui reproche à Sarkozy, le vote des étrangers un jour et de faire le lit de Le Pen le lendemain. On peut lui faire confiance à Devedjian, pour évaluer la situation, il sait de quoi il parle quand il cause d’extrême droite [2].
Entre un étirement difficile et l’appel constant de la couette, surgissent des images cauchemardesques, une victoire, un lâcher total de tout ceux qui se retiennent, les plages australiennes et leurs surfers peroxydés se ruant sur un libanais isolé [3].
Pendant ce temps, à l’assemblée on tergiverse et on s’engueule sur le passé de nos utopies dans les cercles intellectuels de gauche alors que défilent les nouvelles milices d’auto-défense. Leur uniforme se confond avec celui de la Police, deux jeunes se font alpaguer devant moi dans le train. Ils n’ont rien fait, ils sont jeunes avec l’accent 93 c’est tout. C’est trop. On est deux à protester, l’un des deux « criminels-par défaut » dit : « on est pas des fugitifs, ils nous embarquent c’est rien, ils vont vérifier notre identité et après ils nous relâcheront. » Tout simplement. Le harcèlement policier intégré comme une variable quotidienne. Pour un billet demi-tarif et une carte 12-25 oubliée quelques heures de poste. En toute tranquillité. Je pense à mes parents, les trois biens qu’ils ont difficilement accumulés, leur maison dans ce village à l’hypocrisie toute lorraine.
Il est 7h10 et je me dis qu’ils n’ont pas mérité ça. Pas l’exode, pas à nouveau (mon père est né en trente-neuf), pas la transhumance avec rien en main, à soixante trois ans - difficile de reprendre le chemin que l’on a vécu à vingt-cing ans, avec le soutien du Bumidom [4], là avec nos trois euros cumulés, de toutes façons ils n’iraient pas bien bien loin. Je tire la couverture sur ma tête. Faire l’autruche, il est 7h20.
On pourrait aller rejoindre mon frère aux Etats-Unis, au moins pendant quelques mois et puis, on est deux à habiter en Belgique. Je ferais mieux de me rendormir, entre la Wallonie terre de corruption et la Flandres du Belang [5], c’est pas comme si c’était vraiment mieux, peut-être une terre d’accueil provisoire. Pierre Dac était un résistant. Radio Paris ment. Radio Paris est allemand. Londres ? Quelles sont les conditions d’accueil dans les autres pays d’Europe ? Est-ce que je trouverais du travail à Wal-Mart sans carte verte ? J’ai pas de réseaux, je connais personne. Comment on va faire ?
Deuxième salve de l’autre dring dring. Je m’étais rendormie.
J’étais dans la salle des machines, où on regardait la télé le 11 septembre 2001 après qu’un collègue ait hurlé, déboulant de la Bourse jusqu’à côté : « y’a un avion qui vient de percuter le Wordl Trade Center » [6]. Toujours ce brouillard matinal, lourd et épais. Le collègue qui dit : « Noooon, et moi qui vient de faire un enfant dans ce monde là. » Quatre ans après on construit avec du béton le choc des civilisations, et ceux qui dénoncent ce mouvement, cette construction progressive hurlent dans le désert que leur mise à l’index crée progressivement autour d’eux.
Les animaux en captivité ne se reproduisent plus. Aller lève-toi. Ca va bien se passer. Répète après moi. Ca va bien se passer. Un conférencier qui ponctue son intervention sur la représentation des arabes dans la bande dessinée belge dit : « l’Europe est profondément intolérante. Israël est le produit de son intolérance. 2000 ans ne suffisent pas à faire qu’un peuple face partie à part entière de son territoire. Et encore moins 400 ans, regardez ce qu’il s’est passé dans les Balkans. »
Répète après moi. Ca va bien se passer.
Dans les Balkans austro-hongrois, on a volontairement déplacé des villages entiers pour empêcher les résistances « nationales ». Un village croate, un village slovène, un village serbe : diviser pour mieux régner, stratégie classique des dominants. Je me demande ce que penseraient les gros malins qui ont imaginé ces déplacements, si on les mettait quelques cent cinquante ans plus tard, devant les guerres aux motifs nationalistes qui ont successivement déchiré la zone.
L’identité culturelle, religieuse..., reconstruite sur bases fantasmées, avec héros et dates édifiantes, est en général est tout ce qui reste aux peuples dévastés et humiliés. Ou qui s’imaginent comme tels, dans le miroir que leur tend les médias, assiégés de noirs et de musulmans qui viennent leur piquer leur boulot...
Répète après moi. Ca va bien se passer. Ca va bien se passer. Il est 7h30, dring, dring, lève-toi.
L’ethnicisation des Balkans est entérinée par l’ivoirisation galopante grâce aux accords de Dayton-Marcoussis et le soutien logistique de L’UE à la reconstruction du Kosovo-Zaïre.
Les émeutes des banlieues sont un problème social. Je répète. Les émeutes des banlieues sont un problème social. Je répète.
Je suis un intellectuel de gauche bolivarien mais quand même, dans certains quartiers on est plus chez nous : si je demande à un noir de bouger sa voiture de devant la mienne j’en ai dix sur le dos, alors, que moi, Napoléon, je m’en fout, l’esclavage c’est du passé.
Vive la république universelle. Vive la république universelle. Vive la république universelle. L’hôpital psychiatrique pour les gens qui vivent dans le passé, sauf pour ceux qui citent Voltaire et Montesquieu comme si il venaient juste de publier chez Gallimard et participer au cirque des prix et de la rentrée littéraire.
En Amérique du Sud bolivaro-zappatiste on ricane : ca y’est c’est votre tour. Je sens que je tombe, je viens d’être lâchée depuis un hélicoptère au dessus de la mer Manche. L’armée rouge, trop occupée en Tchetchenie, laisse tomber son front-ouest et signe un pacte de Non Agression avec le quatrième empire bonapartiste dirigé par une coalition franco-italo-flamande dont le drapeau, l’oriflamstika flotte sur un territoire immense sur lequel le soleil ne se couche jamais. L’enclave socialiste espagnole, grâce au retour des franquistes, n’est désormais plus qu’une évocation du passé, malgré le soutien des brigades internationales et de la diaspora espagnole exilée en Arabo-Andalousie musulmane.
Répète après moi. Ca va bien se passer.
Reprise du travail dans le RER, la direction n’a quasiment rien cédé aux grévistes jubile le chroniqueur. J’ai, je crois un peu de fièvre.