La révolte des « racailles » dans son contexte

, par LaPeg M. 

Un état d’urgence, des voitures et des centres sociaux qui brûlent, souvenir traumatique d’un automne frénétique dans une France au bord de l’explosion. Alèssi Dell’Umbria effectue un retour percutant sur le contexte de la révolte.

Il est certain que ce pamphlet libertaire ne plaira pas à tous : sa remise en cause de l’Etat républicain centralisateur en énervera même plus d’un. On pourrait se réjouir de voir leurs yeux effarés se détourner de ce petit livre, mais
aussi être désolés qu’ils ne saisissent pas cette occasion de comprendre la rage destructrice des casseurs de l’hiver dernier.

Pour tous ceux qui cherchent des clés pour décrypter la frénésie aveugle des émeutes de l’automne 2005, il est plus qu’intéressant de jeter un oeil aux analyses de Dell’Umbria, quelque soit le point de vue défendu par ailleurs sur la place de l’Etat.

Bien sur, on peut dire aussi qu’il n’y a pas besoin d’un livre pour comprendre
la colère que génère le désespoir. Quiconque se sera heurté systématiquement aux barrières et discriminations sociales, aux railleries et à la réalité concrète et toujours renouvelée des exclusions connaît cette envie de destruction massive.

Quand il n’y a plus de mots c’est toujours la fureur qui prend le dessus. Et quand les mots sont bien appris - les médias ont ressassé le fait que de nombreux « casseurs » étaient des gamins sans histoires, voir même bons à l’école - et qu’ils ne servent à rien, les cris et la colère tout azimuts c’est souvent tout ce qui reste.

La valeur de ce texte court et vivifiant vaut autant pour l’intensité de son ton que pour les informations et les mises en liens qui y sont faites. Les premiers ensembles d’habitat urbain sont le résultat de différentes exigences idéologiques dont l’objectif est la destruction des solidarités de classe en bâtissant des logements limitant par leur organisation spatiales même, les relations de voisinages afin de garantir l’ordre, la moralité et surtout empêcher la propagation des idées « socialistes ». Cette idéologie forgée au 19e se retrouve dans nos banlieues 21e, avec ces quartiers sans lieux publics, sans cafés et sans reconnaissances collectives et ou le sentiment d’appartenance est écrasé par la seule valorisation de la réussite individuelle.

Les bâtiments construits comme des bulles privées pour salariés déracinés repliés sur la sphère domestique fonctionnent tant que la navette maison-boulot a du sens. Cet habitat-cocon explose dès lors que le chômage oblige au désœuvrement, sur place qui plus est, alors que tout est fait pour le mouvement, la voiture et la consommation. Solitude et anonymat seront encore renforcés par une série de clivages dont il retrace certaines généalogies : français contre étrangers, jeunes contre vieux : face aux violences policières « [celle] tout azimuts des adolescents est à la mesure du silence des adultes ». C’est la guerre du tous contre tous qui explique en partie la « gratuité » de cette violence.

La racialisation des rapports sociaux sert le pouvoir central, la bourgeoisie : diviser pour mieux régner ce vieil adage est dune toujours criante actualité. On lamine, on écrase : état sécuritaire et architectes hygénistes ont atteint leurs objectifs. Contrairement aux sans papiers ou encore aux salariés d’origine étrangères des années 80 les jeunes « cailleras » n’ont plus rien à revendiquer et les solidarités n’existent plus qu’un peu au sein des familles - lorsque celles ci résistent. Ordre étatique contre ordre patriarcal, de quoi rêver et se projeter
dans un avenir serein.

Dell’ Umbria rappelle que, notamment dans le Ch’Nord, les « racailles » n’étaient pas toutes « issues de l’immigration » et que même certains de ceux qui ont été les plus condamnés étaient des « français de souche ». Cette distinction exaspère, on le sait, mais n’est utilisée ici que pour montrer l’absurdité, si on en avait encore besoin, du martelage de la division « ethnique » du système de classe. Dans les lieux de pauvreté et de relégation urbaine, tout le monde est dans le même bateau qui coule.

C’est aussi la banalisation des états d’exceptions qui est brocardée ici : envoyer l’armée contre des grèves passe désormais comme une lettre à la poste. Tolérance zéro, clientélisme : les associations subsidiées deviennent des instruments sécuritaires pieds et poings liés par les municipalités.

Dell’Umbria revient ensuite sur les récupérations arrivistes de la marche des Beurs, syndicalistes des mouvements d’ouvriers immigrés (grèves Talbot par exemple
 [1]
) éclairant le tournant raté d’ un mouvement unitaire de lutte antiraciste et sociale.

Il montre enfin combien il est malvenu de critiquer les errements de la gauche qui se présente comme le dernier rempart avant le fascisme depuis les années 80 et fini par psalmodier des positions de principe, tout en offrant seulement une version particulière de la tolérance-zéro comme programme. Il finit par fustiger tous les discours monolithiques emprunts de religiosité rassurante, de l’islam aux psalmodies républicaines, tout en rappelant la place que prennent aussi les drogues dans le maintien d’un certain ordre social dans nos espaces de bannissement urbains.

Court et incisif ce livre pamphlétaire et socio-historique fait trépigner d’impatience : Umbria s’apprête à publier une histoire sociale de Marseille aux éditions Agone.


Alèssi Dell’Umbria
C’est de la racaille ? Eh bien, j’en suis ! - A propos de la révolte de l’automne 2005,
L’échappée, Paris, 2006. 100 pages, 7 euros.

P.-S.

Lire aussi : Racailles de tous les quartiers, unissez-vous ! et Exterminez toutes ces brutes !.
Racaille sur le site de Wikipédia

Notes

[1Fin 83, en pleine Mitterrandie, la CGT s’oppose aux grèves Talbot en exacerbant les oppositions ouvriers français, ouvriers immigrés. Mauroy alors ministre avait il est vrai eu quelques sorties contre les mouvements immigrés « dirigés par les intégristes chiites ». On voit bien la convergence : le racisme est utilitaire aussi bien pour l’état socialiste que pour les syndicats, augurant de l’instrumentalisation du FN par la suite.