"Ah !, ça,les élections, c’est pas grave de toutes façons, si on me dit de retourner dans mon pays, je m’en irais."
Dans ce vidéo-club près de Gambetta, le résultat des élections ne semble pas tracasser grand monde. "Tous ça c’est des histoires de français, j’ai pas la nationalité, Le Pen ou Chirac ca changera rien pour moi. Il faudra que je trouve de toutes façons un autre endroit où aller."
J’étais déjà passablement défaite par la situation mais cette conversation de rayonnage a finit par m’achever. Pourtant j’y avais cru, en discutant politique, avec des vieux, entre tournevis et joints d’étanchéité, à un sursaut politique national... National, oui c’est ça justement. National. Une histoire de français entre eux, avec leurs drapeaux et leur marseillaise chantée en coeur au trocadéro.
Les gars du vidéo-club s’en foutent et moi j’ai tout sauf envie d’aller voter Chirac. Ben oui. Et pour moi cette irrésistible envie de désertion qui sourd en moi et le jennairienafoutisme de mes fournisseurs de k7s ont surement en commun un sentiment d’appartenance à la communauté française dont la géométrie est aussi variable qu’est flottante l’attitude de la dite nation face à ses "enfants de la patrie" carbonisés.
Je ne vais pas m’embarquer dans des rapprochements hasardeux et des généralisations du genre journalistiques pour ne parler que depuis derrière mon nombril. Je ne serais que le porte parole de ce qui se trame sous la masse capillaire abondante qui recouvre mon crâne. Je pense malgré tout qu’une part de mon fatalisme personnel est partagé par d’autres cramés.
D’autres par ici on déjà énuméré nombres de raisons de ne pas aller, même avec des gants caoutchoutés triple épaisseur, glisser un bulletin Chirac dans l’urne. Je me solidarise avec mes compagnons et évitant la redîte, j’en profites pour pousser encore plus loin le bouchon. (Je rajouterais juste à leur louche que je ne veux plus manifester sous des slogans vieux de 10 ans et me retrouver dans l’impasse qui m’avait fait quitter ras le front [1] dans le temps : contre le fascisme [2] oui mais POUR quoi. On verra le premier mai, peut-être que les manifs vont se conscientiser une fois la réaction affective passée. (On me dit : on verra ça aux législatives. Oui, mais c’est tout vu sauf sursaut massif bien improbable.))
Une des raisons donc , (et c’est quand même essentiellement là où je veux aller présentement sur cet écran ), qui motive mon refus de vote, c’est l’attitude de la France avec des gens comme moi, métèques plus ou moins mats, négropolitains passés par le mixer interrégional (puisque les antilles comme la lorraine sont des régions françaises [3], je le rappelle) ou international (comme ce mi-chèvre mi-choux sénégalo-franco rencontré dans la manif de samedi).
Quand Mitterand est arrivé en 81, il portait l’espoir d’un certain nombre de gens, mais pas les miens, j’avais huit ans,et c’était pas l’euphorie dans ma chaumière. Par contre, peu après dans le sillage du PS, des associations, le MRAP, SOS Racisme, portèrent des revendications qui parlèrent plus à la gigue pubère scoute post-catholique que j’étais. Les Harlem sans désir me lassèrent assez vite ceci dit, mais comme je vais agonir le ps et ses acolytes, je balise le terrain. Après la conscience de moi-même pris d’autres détours au fur à mesure de mes découvertes musicales et littéraires. Rapidement, j’execrais le Black Boy de Wright pour aller voir ailleurs (Chez Ster Himes ;-)) ) quelle tête avait Phil Lynott ou D.H. Peligro.
SOS connerie, les unefs (et j’en passe) surfent sur la jeunesse en brandisant des slogans simplistes, hier déjà et ça continue aujourd’hui, ces trucs de fraternité, qu’on est tous pareils, toutes ces belles théories romantiques qui font battre le coeur alors que dans la pratique, moi, je dois montrer ma carte d’identité souvent, comme à la caisse du supermarché. C’est un exemple marchand puisqu’il n’y a que ça qui compte, hein ? Le MEDEF est contre Lepen parcequec’estpasbonpourlesentreprises.
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Mais les assoces parisiennes à l’ancienne (20 ans déjà) ne connaissent que la vie au sein de la gauche caviard tolérante de mes deux ovaires. On s’achète des gros manteaux et un apart et on oublie ceux qui nous ont menés là. La vie à Paris est en plus assez simple : les gens restent clivés par communautés dans des espaces géographiques socialement non mixtes. C’est ça la vie que connaît la gauche française, Paris et encore que quelques quartiers, le 20e c’est charmant mais on y habite pas...
Quand à 12 ans, j’entendais Bashung chanter "Touche pas à mon pote", avec ma naïeveté de l’époque, je pensais qu’avec le temps et peut-être aussi les études aidant , je n’aurais plus à essuyer des remarques du genre : « sur qui t’as copié » lorsque mes résultats scolaires fleurtaient avec la barre supérieure de l’échelle de notation. Je n’avais pas la naïveté de penser que le commun des tristes mortels en arriverait à oublier ses réflexes primaires : négresse-abrutie-inculte-rasta-keusch-dealer-pute (etc...) mais qu’au moins les représentants et agents de la République dont il est question finiraient par imprimer que oui on peut être noir et français... Que les manuels d’histoire regorgent de raisons pour que ça soit le cas. [4]
J’ai eu la naïveté de croire, en bonne fille de la classe moyenne-moyenne-moins, que l’ethos de classe que je me trimballe et mon hérédité ne seraient pas des marqueurs forts qui m’empêcheraient d’évoluer(c’est à dire me déplacer) sereinement dans cette société française merveilleusement de gauche.
Mais, dans cette magnifique société de gauche,si tu es noir et que tu ne fumes pas de l’herbe, ça déçoit.
Dans cette magnifique société de gauche, si tu es noir et que tu aimes la musique classique (ou n’importe quoi d’autre que du reggae-zouk etc...) ça étonne. Je peux en faire une liste sans fin, de détails anodins (sauf accumulés) à d’autres plus graves (je parle français là non ?) tous tirés de la vie quotidienne (ton portefeuille a peut-être disparu, mais c’est pas moi qui l’ai pris).
Dans cette magnifique société de gauche, si tu es noir et que tu ne fais rien de ce qu’on attends, y’a bon banania-content-content, ça ne va pas du tout... Que cette attitude soit celle de fafs, ça me va. Celle d’ignorants. Pas de problèmes. Celle d’antiracistes bon teint proclamés. Là, je bloque encore une fois.
Profondément anti-communauté mythiques, je ne dis pas qu’il faut qu’on aille aux quotas et toutes ces conneries du collectif égalité. Par contre, il est vrai que la République serait quand même bien inspirée si elle apprenait à « nous » respecter, reconnaître etc... Et ses valets des dinosaures anti-racistes, feraient bien de balayer un peu devant leur porte. Et pas seulement quand ils/elles se sentent en danger. Les négros et les niakoués on en a toujours besoin quand ça va pas (guerres, croissance économique, nettoyage, et maintenant vote...) mais surtout après faudrait quand même pas qu’ils en demandent trop. Sauf que si. J’en demande (on ?) en demande beaucoup, comme tout le monde. A la nation. Et aux organisations qui prétendent "nous" défendre. On a appris à lire, dans le texte et entre les lignes, on est ici et maintenant, c’est trop tard. Il va falloir faire avec.
Pourquoi ce sentiment de décalage se fait particulièrement jour pour moi à l’occasion de ce second tour des élections et qu’il prend la forme d’un refus catégorique de participer à cette ruée massive vers Chirac ?
C’est pas dans mes habitudes de me désolidariser des enjeux de la politique française, pas du genre à être de France que quand ça m’arrange, parce que malgré ses défauts, c’est la société dans laquelle je vis (ma société aussi [5]) mais là, j’ai un haut le coeur un dégoût profond teinté de catastrophisme apocalyptique politique-fictionnel.
On me dit : « mais t’as vu ta tête, tu vas faire partie du premier wagon ». Et là contrairement aux gars du vidéo club, je dis : c’est ça, qu’ils viennent. Je les attends. Je voterais pas Chirac.
On me dit : « oui, tu as raison mais on en parlera plus tard, le 5 mai au soir ». C’est ça plus tard. Sauf que plus tard il n’y aura rien. Rien que Chirac. Rien que la droite et des alliances avec leur propre(sale) droite. Je voterais pas Chirac.
Pour tout ce que j’ai dit et parce que je me sens trahie, par tout les pores de mon enveloppe charnelle. De toutes ses parts, lorraines et antillaises, de partout, de mon chômage, de mes études de partout. La défaite me semble à cette heure totale. Les réponses que j’entends ou que je lis sont plus navrantes les unes que les autres. Je ne comprends plus rien à ce qui se passe et j’en ai marre. Je ne comprends pas qu’on prenne lepenrac par les camps. On a Sangatte et la double peine pas de quoi faire les malins. Ils hurlent "Le pen c’est la france aux français" comme si c’était une nouveauté.
Je ne vois aucune porte de sortie et surtout pas les législatives, je ne vois pas comment on va pourvoir s’empêcher de sombrer dans le chaos. On caillasse des bus avec des gamins israélites dedans, je sens les ratonnades repointer leur nez. J’avais 15/16 ans quand les Bérus chantaient "porcherie" et que je dessinais des "A" encerclés sur mon sac US. Dans le grenier du lycée les red et les fafs se castagnaient, on apprenait à courir vite dans les rues de Nancy. Une dizaine d’années plus tard, retour à la case départ. Sauf que je ne sais plus courir, que je n’ai plus d’illusions sur la gauche, et qu’avant j’envisageais encore la possibilité qu’il y ait un meilleur pour moi dans mon pays. Sauf qu’Anne ma soeur ne voit plus absolument rien venir. Que les idéaux des classes moyennes moins-moyennes ne sont plus les miens (je ne veux pas de gros manteau). Que les études ne mènent finallement pas si loin et que je me surprends à avoir des idées qui ne sont pas les miennes .
Et ça c’est le pire.
En rentrant de la manif, un groupe de gamins du quartier (20e), quatorzes ans défoncés, united colors of black-blancs-beurs ont choppés le livreur de pizza en mobylette. Un quart de secondes et une pensée putride m’envahit « Putain, si ces pour ces crétins qu’il va falloir aller battre le pavé »...Vingt ans de gauche pour en arriver là. Le Pen ou Chirac, on a que ce qu’on mérite.Et pour moi ca sera kif kif.