C’est à l’Odéon que se déroulaient les rencontres Identité Caraïbe organisées par le théâtre de l’Artchipel, Scène Nationale de Guadeloupe. « Les Caraïbes au Théâtre de l’Europe ! » s’exclame-t-on dans le texte de présentation. C’est pas tous les jours que la communauté antillaise fait sienne les lambris vénérables de l’Odéon en effet, pas tous les jours que les salles résonnent de tous les accents d’outre-mer. Une semaine durant on aura joué créole, théâtre aussi bien que musique, parlé créole, discuté culture politique et histoire, au Théâtre de l’Europe donc, avec cependant le léger sentiment qu’on s’est contenté de transporter une certaine France dans un coin où elle continuera à ne pas bien gêner grand monde. On aurait l’esprit bien mal tourné de se plaindre, mais on est en droit de se poser des questions sur la logique qui relègue notamment une conférence/débat de fond sur la langue créole ("Le passage des Langues", voir article correspondant) dans un cagibi de 47 places exactement. Sachant que des poids lourds de la culture caribéenne tels Maryse Condé, Raphaël Confiant et Edouard Glissant étaient annoncés (tous absents, les deux derniers préférant finalement rester en Martinique pour leur propre conférence...), et que le jour dit il plus d’une centaine de personnes se pressaient au comptoir où des ouvreuses débordées tentèrent vainement d’expliquer que ce ne serait pas possible, on peut se poser des questions.
A moins que, comme l’auteur antillais Ogis M’Bitako le suggérait plus tard, on se soit dit que les Nègres seraient sûrement plus intéressés par le concert de Ralph Thamar dans la Grande Salle... Mais trève de mauvais esprit. Pour ceux qui le désiraient, ces rencontres étaient aussi l’occasion de se divertir tout en s’instruisant.
Divisée entre débats, pièces du répertoire théâtral créole et concerts, la programmation se voulait assez large, et liée au thème de travail actuel de la Scène Nationale de la Guadeloupe, Territoire et Identité. Comme l’annonçait le texte de présentation, l’actualité, celle de la conférence de Durban, de la reconnaissance par le Parlement de l’esclavage comme crime contre l’Humanité, fournissaient un ancrage à des questions qui, somme toute, se posent depuis que l’on reconnait aux Antillais leur statut d’êtres pensants. Quel rapport à la métropole, au vieux Continent, dans une relation faite d’oppression, d’échanges plus ou moins forcés et de reconnaissances plus ou moins sincères ? Quel rapport à l’Afrique, et par extension au Tiers-Monde, origine fantasmée et perdue, frère en colonisation et en expérience, camarade de combats ? Quel rapport aux créoles, incarnations linguistique de la problématique caribéenne, et quel rôle ont-ils à jouer dans l’affirmation culturelle et politique de l’espace caribéen ?
Et puis parmi les combats, plus précisément, l’éternel combat antillais de se trouver une identité entre ces filiations, de localiser l’archipel dans une tempête d’influences variées, et discuter, jouer, écrire un lieu éclaté, qui se rassemble de par sa diversité même, dont la définition est à elle seule une encyclopédie historique, culturelle et politique.
Des conférences/débats relevés, où l’on apprendra beaucoup et l’air de rien sur l’histoire caribéenne, sur le présent caribéen, et où l’on spéculera sur un futur qui risque de faire parler, tant il a semblé que là-bas, à l’ombre des cocotiers, les gentils mangeurs de bananes nous préparent à feu doux depuis un moment un chien de leur chienne dont on finira bien par entendre parler.
Tshenbé rèd pa moli ;
pli bèl-la anba bayi la...
Alfred