Femmes de la Martinique : quelle histoire ?

, par LaPeg M. 

Avec les limites de ce type d’exercice et sans pour autant sombrer dans une approche purement scolaire, un ouvrage retrace, de l’ère précolombienne à nos jours, l’histoire et l’évolution de la place des femmes dans la société martiniquaise.


Raconter en un cours livret l’histoire des femmes dans l’île de l’arc caraïbe.
C’est l’exercice que tente le livret « Femmes de la Martinique : quelle histoire ? », édité par les Archives départementales de l’île.

L’histoire des femmes en Martinique c’est d’abord l’histoire d’un déséquilibre.
Du « dualisme des genres » de la société originelle (division des tâches hypersexuées chez les Kallinagos) à la société coloniale qui se met en place après la prise de la Martinique par D’Esnambuc et l’exil des Indiens en Dominique, on assiste à une forte réduction du nombre de femmes dans l’île. En effet, les colons viennent généralement seuls, même si quelques engagées les accompagnent parfois (leurs femmes en général). On fini même par envoyer des convois de femmes (blanches) à marier tellement leur présence manque sur l’île. Puis, l’équilibre se rétablit progressivement via la traite atlantique des esclaves pour déboucher sur un déséquilibre inverse (moins d’hommes que de femmes) au XIXe s jusqu’à la seconde abolition de 1848 — et ce malgré la reprise de la traite.

Les femmes esclaves sont essentiellement vues comme des reproductrices, même si il parait plus rentable de faire venir de nouveaux bras d’Afrique que de les « produire » sur place. Les femmes africaines en Martinique ont un taux de fécondité moindre que les créoles. Des politiques spécifiques à visées natalistes sont mises en place à la fin du XVIIIe. Officiellement condamnées par la loi et les morale, les relations sexuelles entre blanc et femmes esclaves sont mises sur le compte d’une « nature lascive » des femmes africaines à qui la responsabilité incombe en cas de viol.

Leurs activités sont parfois les même que celles des hommes même si elles sont placées en tant que « Négresses de jardin » au travail du potager plutôt qu’à la coupe de cannes. Domestiques, nounous et accoucheuses sont les activités principales auxquelles elles se voient cantonnées. Résistantes passives (suicides, avortements, empoisonnements...) elles sont moins nombreuses parmi les fugitifs et marronnent surtout dans l’en-ville qui leur permet plus de sécurité que la savane des Mornes. Elles serviront en premier la lutte abolitionniste, la pitié pour leur sort étant plus accessible à la raison lumineuse et c’est encore par elles, que se consolidera la société ségrégationniste, les femmes étant nombreuses parmi les gens de couleur. Du côté des créoles blanches, c’est à une vraie foire d’empoigne qu’on assiste pour cette denrée rare. L’omniprésence de la religion dans l’éducation des femmes des classes supérieures les cantonne dans des rôles d’épouse et de mères. Pourtant, femmes de couleur et blanches se voient progressivement obligées de travailler, surtout lorsqu’elles sont seules, pauvres ou juste débarquées de métropole.

Les femmes sont actives dans les différents mouvements sociaux qui agitent l’île, lutte pour l’abolition, pour le respect des droits des affranchis, lors de l’Insurrection du Sud [1] ou dans les nombreux combats syndicaux du début du 20e siècle (les femmes sont nombreuses dans l’industrie sucrière).

Le développement de l’école laïque marque l’entrée progressive des femmes [aisées] dans la vie politique et culturelle martiniquaise. On pense par exemple à Paulette Nardal [2], fondatrice de la « Revue du Monde noir », publication bilingue, influencée par la Harlem Renaissance. Mais c’est dans le mouvement mutualiste et dans le système de secours hospitalier que s’impliquent les femmes bourgeoises blanches et de couleurs dans l’entre deux guerre.

Après la seconde guerre mondiale, forte d’une égalité civique enfin acquise, commencent leur timide entrée en politique avec l’élection en 49 de la première maire martiniquaise, Luce Lemaitre, au Morne-Vert fraichement séparé du Carbet, sur une liste SFIO. C’est surtout via les associations féminines catholiques (le rassemblement féminin) et féministes communistes (l’union des femmes de la Martinique) que se fera la politisation des femmes de Madinina. Les deux tendances représentent deux générations différentes de femmes, aux idéologies opposées (l’UFM accuse le RF — qui propose des cours de couture aux femmes pauvres — de vouloir former des servantes pour la bourgeoisie) bien qu’elles s’opposent peu sur le fond (les femmes sont des mères avant tout).

En 1978, est crée, un mouvement plus radical, le comité permanent de soutien aux femmes agressées. Ce mouvement sera actif et très présent, notamment via son bulletin Fanm lévé, Fanm Doubout jusque vers 1984, ou le mouvement périclitera. L’UFM [3] prend une tournure plus féministe dans les années 90, sous l’impulsion de George Arnauld [4], axant son action sur la question du travail tout autant que sur celles de la violence masculine.

Le livret expose ensuite, l’histoire de la presse féminine et féministe martiniquaise puis expose des données démographiques mettant l’accent sur un paradoxe : malgré leur taux d’activité et d’études élevé, les femmes martiniquaises doivent faire face à une grande précarité due au travail à temps partiel et à un taux de chômage élevé.

On regrettera que le livret passe un peu rapidement sur la question des violences sexuelles et domestiques, à l’époque de l’exploitation sucrière comme aujourd’hui et l’invisibilité totale de la question de la prostitution. Par ailleurs, la volonté de dépasser l’image de la femme Potomitan, leur fait passer totalement sous silence la question de la matrifocalité si spécifique. Le lien entre la condition des femmes de Martinique et leur précarité est trop rapidement évoqué en fin d’ouvrage.

Ainsi ce livret, très joliment mis en page par Fred Lagnau illustré de nombreuses archives ne peut s’envisager que comme une introduction un peu lisse à l’histoire des femmes de Martinique.