03/03 : J.-L. Costes à la Maison de l’Etudiant de l’Université de Metz

A l’Est du renouveau

, par Alfred

Un concert, un mini-festival, que dis-je, un événement ! Et c’était à Metz, où on croirait voir les pierres se remettre à bouger.

Costes à Metz, c’ était un peu la blague d’initiés passée de bouches en oreilles, avec quelques petits détails supplémentaires à chaque fois, et cette douce et étrange atmosphère d’incrédulité, naaaaaaan, c’est pas possible, quand même. Je te jure que c’est vrai, je vais même jouer. C’est le copain de truc qui va organiser, mais si, tu l’as déjà rencontré. On connaît toujours plus ou moins quelqu’un qui connait quelqu’un d’autre (moi Toma Burvenich, en l’occurence), et on recoupe les informations assez vite, non ce n’était pas tant la crédibilité de l’information qui posait problème. Comment était-ce possible ? Sûrement, les services de la mairie régleraient le dilemme avant que le concert ait lieu, ou alors ils débarqueraient en pleine effervescence, Metz Police Department style, les cow-boys moustachus intimant l’ordre de baisser le son ou alors ça allait chier (on y reviendra...).

C’est que quand on est né en Rauscherie, à Metz, perle de l’Est, à la fin des années 70, et qu’on s’en est éclipsé quelques années, on garde des souvenirs plutôt frustrants des manoeuvres habiles de l’équipe municipale pour garder la ville en animation suspendue, tailler au sécateur les branches qui font désordre dans les corsos fleuris dont notre maire est si fier. Les plus jeunes spectateurs du concert de vendredi sont nés sous Jean-Marie Rausch, maire à vie de notre bonne ville depuis 1970. Ils n’ont peut-être pas souvenir de certains des exploits que, de près ou de loin, on lui impute. Combien de festivals dont on ne gardera que la momie desséchée d’un souvenir, sous les fortifs au Jardin des Amours, à l’ancienne Foire derrière la gare ou tout autour de la ville, flingués dans la fleur de l’âge sous des prétextes fallacieux et pour des querelles de palais, combien de bars à concerts pénalisés et menacés parce qu’à Metz le dormeur est roi, vieux si possible, et aisé ça ne gênera pas, c’est comme ça qu’on s’assure des réélections faciles, à Metz les jeunes ne votent pas. Des années oùles efforts d’organisation locale faisaient toujours finalement pâle figure face aux crânes réussites de la Nancy voisine. Ah oui, on a toujours eu la plus belle ville des deux. Et on a de sacrément belles vieilles pierres. Mais ce qu’il était énervant de vivre dans un si beau musée.

Alors est-ce l’arrivée d’un Messin (Aillagon [1]) à la Culture, qui en lui offrant Beaubourg aurait aussi décoincé du cul le potentat local ? Lui aurait-on suggéré, au bougre, que pour assurer l’extension il allait falloir en mettre un coup au niveau de la vie culturelle, faire un peu plus que l’Opéra et les concerts classiques de l’Arsenal pour s’assurer une street credibility de meilleur aloi, laisser les mauvaises herbes pousser sur place plut ô t qu’elles n’aillent faire le bonheur du reste de l’univers ? Ou alors est-ce juste une nouvelle vague d’envergure, un nouvel essai appelé à se faire éteindre à coups de pelle le moment venu, comme toujours, dans le grand silence de la ville trimillénaire, sur les pavés à l’ombre écrasante de ses grands paquebots de pierre, par une nuit sans lune ? Hein ?

Alors peut-être est-ce le nom de l’association organisant le concert, le Centre d’Hygiène de l’Est, qui ne cesse d’abuser le groupe municipal. Le C.H.E. (incarnation dévolue à l’organisation de concerts d’un groupe dont Do You Like Sushi ? et Luisance Sonore sont respectivement les labels de BD et de cassettes) s’attelle à assainir la vie musicale locale et à lutter contre l’insalubrité sonore, comme en attestent les descentes de leur brigade d’intervention dans les endroits les plus touchés : sous une bretelle d’autoroute, dans les casernes désaffectées qui parsèment Metz ville de garnison, dans divers squatts des quartiers sombres de la ville. Les membres du CHE mettent aussi la main à la pâte au sein de formations multiples à composantes variables, parmi lesquelles 20 000 punks, A.H. Krakenou Plastobéton. On développe les anticorps. Et en ce soir de premier vendredi de Carême, ils avaient été jusqu’à demander les auspices d’un grand apôtre de la salubrité publique, Jean-Louis Costes. Le mal par le mal, il ne sera pas dit qu’on lésine sur les moyens dans l’Est. Ne se permettant d’ignorer aucune possibilité, le Centre d’Hygiène avait donc aussi prévu l’assainissement par la foi, entre les mains de Costes, dont le spectacle était dédié à la Vierge. Pour les non-croyants, le C.H.E. se chargeait de l’essentiel ; à défaut d’être sauvé, on pouvait se faire désinfecter dès l’entrée, à la caisse, cachet du C.H.E. faisant (quelle coïncidence) foi. Suivait le début du traitement ORL.

Moi, je dors avec nounours

C’est à l’ami Toma Burvenich que revînt l’insigne honneur d’entamer le décrassage de nos conduits auditifs, debout dans des lueurs de néon bleutées soulignant le sexy intense de sa chemise rose fluo, ouverte sur un torse sommairement (dit-il) velu. En cette soirée médicale et pédagogique, petit exercice d’introduction. Une platine de disque sans bras tourne devant lui, portant le 45trs "Moi, je dors avec nounours" de Karine et Rebecca, deux gamines vaguement flippantes d’années bien révolues qui posent avec deux chiens, un vrai et une peluche, et nous fixent avec leurs sourires malades depuis la pochette ostensiblement dressée sur le devant de la table. Toma n’a d’yeux que pour le sujet de l’opération, qu’il va mener avec son instrument de prédilection, le cutter sonorisé. Le disque est ouvert devant l’assistance, et à en croire les hurlements des baffles ça ne fait pas mal qu’aux auditeurs suffisamment naïfs pour être venus sans bouchons. Mémoire du vynile ? Pour assister aux manipulations l’audience se répartit autour d’un demi-cercle assuré par le bruit, et dont Toma est le centre. La chirurgie, ça fait du bruit. Karine et Rebecca sont pendant une dizaine de minutes noyées vives dans les humeurs et fluides glaçants libérés du disque par la lame. C’est avec plus d’effroi encore qu’on se prend à essayer de les retrouver entières là où il n’est déjà plus que dissection, croyant deviner de temps à autres les échos de leurs voix dans le flot quasi ininterrompu de bruit. Que cherche-t-on exactement dans les tripes de ce bout de cire d’apparence anodin, exhumé de nulle part pour une autopsie tellement furieuse qu’on en vient à douter des raisons officielles du décès (chanson pour gosses oubliée, pas suffisamment porteuse, échec commercial, morte par contumace) ? Manu, notre punk bourré local (on en a tous un), n’apprécie pas, il se roule par terre, essaye d’arracher la pochette de la table, se suicide avec ses doigts. Toma ne relèvera la tête qu’une fois la séance terminée. Et le silence, un instant, devant la petite forme éclatée qu’on ne va pas recoudre. Sous couvert d’observation scientifique, on a tenté de lire dans les entrailles, sans y trouver autre chose que des caillots et des bouts d’os. Manu va boire sa bière. Bienvenue au Centre d’Hygiène de l’Est.

Ce sont les quatre blouses blanches de A.H. Kraken qui prennent ensuite la relève. J’entends dire que leur section rythmique n’a jamais été aussi imposante. En tout cas ce soir ça bastonne comme à Chicago, c’est qu’on entendrait même des échos des tirs de barrage shellaquiens dans l’alliance d’une basse inamovible et d’une batterie toujours au bord de la rupture, se permettant des changements tactiques aussi inattendus qu’ils sont dangereux car si proche du ramassage pur et simple, et pourtant toujours sur ses pieds, trébuchant pour mieux écraser des gueules, inexorablement. On prendra pour exemple l’imparable morceau dont j’ignore le nom joué sur fond de film de caméscope. Une femme en robe à fleurs lit un discours sans fin de`out sur une scène de MJC. Il est difficile de comprendre ce dont elle parle, ça pourrait être le mariage de tata filmé par un cousin bourré, et pourtant comme gonflent les guitares et que s’impose la section rythmique on ne rit pas, cette voix sans mots dont on se serait sûrement gaussé est sublimée par l’ensemble, peut-être un hommage ou un enterrement, un truc solennel ? Discours nettoyé au karcher. La vidéo tourne toujours quand Nafi l’un des chanteurs/bassistes/guitaristes annonce "Gladys", nouvelle offrande de taille du monstre Kraken, un petit bijou de groove hurlé, avant que les instruments tournent encore pour une reprise du groupe discopunk (qu’on me dit) DAF, et en allemand s’il vous plaît. Le calamar géant quitte un public nombreux, suant et chahuté, on y a même pris des trentenaires à danser, on a vu Jojo, cinquantenaire enbobé et accessoirement LA figure la plus connue des publics rock messins faire valser son légendaire couvre-chef, et ça dans le coin c’est plutôt bon signe.

Les très bons Death to Pigs, français de l’intérieur, furent ensuite chargés de stériliser la salle au lance-flammes, et s’éxécutèrent de bon coeur. Ces gens-là aiment leur travail, et ils le font sentir. Chez DTP, quand on met un masque à gaz, c’est au moins autant parce que ça sonne bien que parce que ça protège des effluves émanant de la salle, et qu’en plus, faut bien le dire, ça en jette grave, tout en imposant des conditions. Pour porter un masque à gaz sans avoir l’air d’un con, il faut au moins que le reste arrache suffisamment pour qu’on ne se concentre pas suffisamment sur la chose pour en arriver à en regretter la vanité, mais oui t’as la classe. Il faut avouer qu’on a pas vraiment le temps de se poser ces questions pendant un bon moment, Death to Pigs est venu pour tabasser, et ils ne se gênent pas. Seulement c’est aussi le troisième concert de suite, l’hygiène c’est bien mais c’est aussi long et c’est le moment que je choisis pour m’éclipser un brin, pour constater aussi qu’il y a aurait comme qui dirait un grand comeback revival compil des tribus messines.

Une demi-douzaines de skins prépubères aux choix vestimentaires déroutants entourés de vieilles têtes, les éternels punks bourrés, et des crusts, hardcore à casquette, mis à part les très mondains professeurs du département de sociologie je dois être dans les plus vieux, enfin mais quel sentiment étrange. Ca discute ferme d’un coup, ça devient lourdingue à l’entrée, c’est le grand retour des spectateurs exigeants, passé minuit il n’y a plus de bière et ça menace de renverser le régime,il y a comme qui dirait des rétifs à la vaccination, on tape des pieds, on hausse le ton, il va peut-être falloir envoyer quelque chose si on veut éviter l’émeute, et Monsieur Costes prend son temps. Quand il arrive c’est devant une salle comble les bras croisés, qui toisent de haut le quadragénaire buriné, sa tête ridée comme son âge et sa gueule d’en avoir vingt ans de moins, debout là dans son costard de chez DAMI tout comme Julio plutôt grand et des faux airs de timide de grande taille, et Tristan, la fille qui fait la Vierge a tenté de se trouver une place discrète dans l’assistance, contre un mur, vêtue d’une espèce de chemise de nuit près du corps d’une propreté douteuse et accompagnée, messieurs dames, d’un renard empaillé. On réussit à faire asseoir tout le monde dans la salle, que tout le monde puisse en profiter. L’exorcisme va commencer.

La Foi

Evidemment, l’ambiance spectacle de marionettes ne dure que le temps de la chanson d’introduction, et Costes de dire en substance vous êtes venus voir de bites et des chattes, hein, moi j’en ai marre de tout ça, j’en ai marre qu’on me prenne pour un guignol, on voit déjà la déception sur les visages, hein ? pas de poil alors ?, quand tout à coup Julio est pris de convulsions, il a le démon en lui nous fait-on savoir, il saute sur le public, vague de tout le monde qui essaye de se relever pour ne pas se faire marcher dessus ou quoi, et pourtant pas de blessés, c’est le véritable miracle. Costes et son acolyte se roulent sur la foule, et retournent l’air de rien derrière leurs micros. On se rassied pour la dernière fois parce qu’évidemment ça recommence, bien vite ils sont couverts de ketchup de chocolat et de pisse et ça n’amuserait plus personne de se faire frotter.

"C’est du Grand Guignol !" nous révèle doctement un érudit devant l’évidence. Merci professeur. De quoi ça parle, ce n’est pas évident à dire quand on ne fait que 1m75 et qu’on se retrouve la moitié du spectacle en cinquième ligne. Les tableaux ne se révèlent qu’aux moments ou ça attaque, jets de bouse, courses dans la foule, ah là oui tout le monde se tire, on ouvre les portes et on sort en courant, mais j’entends des bribes, ouah il lui suce la bite, merde elle s’est coupée la chatte avec un cutter !!, mais non c’est un faux, elle lui a pissé dessus, moi j’ai mes doutes, eh il parait que la merde c’est du chocolat : je confirme, j’en ai pris en pleine poire. Baptêmes à la pisse au sang et à la merde, sur fond d’improbables cantiques au Bontempi distordu, dont quelques-uns rééllement glaçants. Tout le monde se tire, la foi ce n’est pas pour tout le monde, et il ne reste qu’un petit tiers de la salle quand la troupe finit de la repeindre.

L’absence de scène n’est pas pour aider, on se met debout sur des chaises dans le fond dont on saute rapidement à chaque nouvelle incursion de la sainte Trinité dans la salle, et avec tout ça on ne sait pas trop ce qui se passe ; après une procession finale à travers la petite salle en l’honneur de la Vierge Tristan disparait et Costes l’appelle au micro pour finir le spectacle, elle est dehors à se plaindre des problèmes techniques et des erreurs commises dans le spectacle, et pendant qu’elle n’en revient pas notre punk bourré Manu, qui n’a eu de cesse que de faire chier (ha ha) la troupe d’une manière ou d’une autre pendant une bonne partie du spectacle, poussant loin les limites de la participation du public, propose un concours de bite pour faire passer le temps. Il perd lamentablement. Le spectacle s’arrête comme Costes, nu, sale et suant lui suggère gentiment mais fermement d’aller poser un cierge ailleurs.

L’humour au ras des paquerêttes peut être imparable, et il y a quelque chose d’admirable dans la manière dont Costes engage le public en permanence. A Toma qui lui explique qu’il y a vraiment cru, sur le coup, au tranchage des grandes lèvres au cutter, Costes répondra : "tu as tout compris". Saint Toma croit ce qu’il voit. Tout cela a quelque chose de médiéval, c’est un mystère, ou alors le jour des fous, c’est un jeu malin entre les attentes fantasmées du public et le thème du spectacle, mensonges, presque vérités et mythes. Costes a peut-être vraiment mangé sa merde sur scène, même ce soir, qui sait ? Ce que l’on voit doit sûrement être vrai, problème, j’ai quasiment rien vu, moi.
Et puis j’ai un peu mal au crâne. La Maison des Etudiants se vide vite. Le Comité d’Hygiène, fidèle à sa mission, se prépare à nettoyer les locaux dévastés. Ce qu’on ne ferait pas pour la santé en Lorraine. Allez-y faire un tour. On a le statut local. Et on a plein de petits gars prêts à refermer le trou de la Sécu à l’huile de coude.

P.-S.

- le Centre d’Hygiène de l’Est par la poste :
Centre d’Hygiène de l’Est
44,avenue de Plantières
57000 Metz

- Luisance Sonore

- Site de Costes

Notes

[1je lis aujourd’hui (13/03/03) dans le Répugnant Lorrain, journal local, qu’Aillagon envisagerait la succession de Rausch à la mairie de Metz...