Mes hommages, Dr. Thompson !

Hunter était notre dernier héritier de ce que fut la beat generation. Lunettes vissées au nez, on eu dit que ses verres fumés reflétaient l’univers crue qui sortait obsessionnellement de sa plume. Reclus dans sa maison du Colorado, il n’en restait pas moins un doux rêveur que taraudait la quête d’un idéal.

Hunter S. Thompson, un nom qui résonne encore dans nos têtes comme ce coup de revolver qui éclata, dimanche 20 février, dans une maison de Woody Creeck (Colorado, Ouest) à 250 km au sud-ouest de Denver. Comme un paraphe au fabuleux roman que fut sa vie, Tricia Louthis, porte-parole de la police dans l’état du Colorado annonçait ce dimanche : « Nous avons la confirmation que Hunter Thompson a été découvert mort ce soir, victime d’une blessure qu’il s’est infligée lui-même ». Et n’en déplaise à ses détracteurs, chroniqueurs patentés, Madame Pieiller [1] je vous le dis : Non, Hunter S. Thompson ne se résume pas à du « vide ondulant ». Avouez le, vous n’aviez rien lu de cet home ? J’espère que cela a changé depuis. Mais ne nous attardons pas sur le niais chroniqueur, et rendons hommage à notre cher Docteur.

Une vie

Né le 18 juillet 1937 à Louisville dans le Kentucky, sa vie est à l’image de ses écrits : Né d’un père courtier en assurance et d’une mère aux penchants éthyliques, Hunter passa sa jeunesse à badiner avec Platon, l’école buissonnière et la prison. Engagé dans l’armée de l’air, il fut rapidement congédié pour insubordination. Il se décida alors à voyager et commença une carrière de journaliste sportif comme correspondant à Puerto Rico et en Amérique du sud. Chroniqueur dans un magazine sportif de San Juan, il écrit à cette époque son premier manuscrit, The Rum Diary, qui ne sera publié qu’en 1998. Journaliste d’un type nouveau, Hunter S. Thompson collaborera rapidement à nombre de journaux tels Esquire, The New-York Times, Rolling Stone ou encore Le National Observer en Amérique du Sud.

En 1963, il décide de s’installer à Wood Creek. Son premier succès, il l’obtient avec son livre Hell’s Angels : A strange and terrible Saga (1966), révolutionnant le genre de son style décapant qu’il baptisera lui-même Gonzo (consistant à relater journalistiquement un événement de façon subjective, en se mettant en scène dans une vision hallucinée). Dans la foulée, Hunter, plus déjanté que jamais, se porte candidat pour le poste de shérif à Pitkin (Colorado). On est en 1970, son programme est clairement affiché : Hunter réclame le « pouvoir aux dingues » et manque de peu d’être élu.

Au bout de cinq ans d’absence du pavé littéraire, Hunter S. Thompson récidive et fait mouche avec Fear and loathing in Las Vegas (1971), qui le rendra définitivement célèbre.

De cet ovni littéraire traduit en français sous le titre Las Vegas Parano, une adaptation cinématographique sera tirée en 1998 par l’ex-Monty Python Terry Gilliam avec Johnny Depp. Portant un oeil acerbe sur la société américaine, Docteur Thompson n’épargne personne. Tout passe sous son scalpel, y compris ce milieu politique qui l’exècre tant. Ainsi couvrira-t-il en 1972 pour le magazine Rolling Stone la campagne électorale de Nixon, ou plus récemment, dénoncera-t-il la doctrine Bush et les atteintes aux droits civiques post 11 septembre. Aimant vivre à l’écart de la société, amateur de LSD, buveur invétéré, collectionneur d’armes à feu, l’homme qui se définissait comme quelqu’un ayant « l’âme d’une jeune fille dans le corps d’un vieux camé » vient de nous quitter. Hunter est mort. L’histoire ne fait que commencer.

Taillé pour la légende

On le disait fou, déjanté, drogué, alcoolique, chantre de la contre-culture américaine. Hunter S. Thompson a su créer un style imité par bon nombres de journalistes et écrivains en manque d’imagination, mais jamais égalé. Son style, sa marque de fabrique : la touche Gonzo. Ses reportages, écrits à la première personne, se lisent comme des enquêtes menées de l’intérieur dans une vision sous acide, amphétamine, mescaline, éther, popper, LSD... longue est la liste des injections et autres shoots qui nous conduise dans cette veine littéraire.

La vie de Thompson envahie son oeuvre, son oeuvre déborde sur sa vie. L’avez-vous lu ? Troublante et homérique sensation que de le lire, n’est-ce pas ? Où donc s’arrête la fiction ? Ou plutôt... où commence t-elle ? Hunter était notre dernier héritier de ce que fut la beat generation. Lunettes vissées au nez, on eu dit que ses verres fumés reflétaient l’univers crue qui sortait obsessionnellement de sa plume. Reclus dans sa maison du Colorado, il n’en restait pas moins un doux rêveur que taraudait la quête d’un idéal. Il le cherchait cet idéal ! Il voulait le trouver comme Raoul Duke pensant trouver le rêve américain à L.A., comme le jeune Kemp, qui tout au long de son monologue intérieur aux relents de rhum cherchait à comprendre sa vie, ou encore Hunter S. dévoilé, cherchant près de Barger et ses bikers un idéal incompris.

Une quête désespérée ! Voilà comment pourrait se résumer le cri que lançait Hunter S. Thompson au travers de ses écrits. Chacune de ses chroniques, chacun de ses romans part d’un espoir, d’un idéal à conquérir, mais notre Docteur a tôt fait de déchanter, déçu par les Angels, ou encore, déçu de ce qu’il trouve à L.A. Ses reportages, à l’image d’un shoot, démarrent dans l’extase et l’excitation mais bientôt, les effets se dissipent, le tripp prend fin, on finit par atterrir et rejoindre la pesanteur de ce bas monde. Hunter S. Thompson a prit son dernier shoot dimanche 20 février, le shoot ultime. Une réussite !

Elément perturbateur, agitateur effréné, Hunter a toujours cherché à interpeller son lecteur. Dans un style dément, son récit homérique, paradoxalement, fonctionnait comme s’il voulait réveiller son lecteur de sa torpeur, de son anesthésie sociale. Il a su comme personne botter le cul de la « majorité silencieuse » comme il aimait à l’appeler. Il critiquait avec fougue la scène politique de son pays, mais également ses confrères trop peureux, bêlant au premier appel de leur berger et fustigeant les minorités. « Le journalisme objectif est l’une des principales raisons expliquant pourquoi la politique américaine a pu être à ce point corrompu pendant si longtemps. ». Stop à l’hypocrisie ! Mais... L’observateur a-t-il été trop utopiste ? La quête avait-elle son Graal ? Seul Hunter désormais à la réponse. En tout cas, lui qui a su si bien pénétrer l’intimité des autres, il ne semble pas l’y avoir trouvée, la touche amère de ses écrits au goût de désenchantement perpétuelle en atteste.

Rideau.

Découvrir l’univers de Hunter S. Thompson

Hell’s Angels. Hunter, fasciné par ce célèbre gang de motards, passe un an à rouler et écrire à leurs côtés. Il dresse, à travers la description de leurs faits et gestes, le portrait d’une société en pleine explosion libertaire. Une course folle agrémentée d’alcool, de drogues et de grosses mécaniques sur un air beatniks. Rentrer vos femmes et vos enfants, les Angels arrivent !

Las Vegas Parano. Un journaliste et son avocat partent, à bord de leur Red Shark bourrée de stupéfiants, couvrir La Mint 400, course automobile renommée de Las Vegas, pour le magazine Rolling Stone. En filigrane, une quête : le rêve américain. Une virée psychédélique dans l’univers du jeu où les substances illicites coulent à flot.

Rhum Express. Premier roman de Hunter S. Thompson, il met en scène Kemp, pigiste au San Juan Daily News, un quotidien lancé par un ex-communiste dont les journalistes passent leur temps à boire et se battre. A force de rhum, Kemp ne tarde pas à les rejoindre dans leurs délires, se réveillant de temps à autre pour assister impuissant à la dérive d’un petit paradis miné par la corruption et les ambitions économiques américaines.

La grande chasse au requin. Anthologie d’articles politiques acides et corrosifs réalisés par notre cher docteur.

Le nouveau testament Gonzo. Complément à La grande chasse au requin. Les articles les plus déjantés de Hunter S. Thompson. Reportages homériques sur les sujets des plus divers tels le sport, la musique, drogue et politique. Ses longs papiers gonzo-journalistiques dépeignent l’Amérique de manière crue ou cruelle. A lire sans modération.

Visiter le site http://www.gonzo.org/

Notes

[1Chronique d’Evelyne Pieiller, "No more Moore ?,", Article paru dans l’édition du 29 mai 2004 de L’Humanité.