Crime économique contre l’humanité.

, par _Begon Vert

Dans la vie, il y a deux sortes d’hommes. Ceux du nord et ceux du sud. Ceux qui ont un flingue et ceux qui creusent. Et au milieu coule le Rio Grande. La frontière entre les deux Amériques. Une frontière moins territoriale qu’économique, où la loi du marché surpasse celle des hommes.

Une frontière marquée par un mur, comme un défi lancé aux immigrés clandestins, entre les deux océans.Œuvre du gouvernement Clinton et conséquence directe des accords économiques de libre-échange nord-américain (Alena), datants de 1994.

"Nom de dieux, ce n’était même pas le monde de Zola, au moins ils avaient des corons. C’étaient plutôt les misérables, d’Hugo. Ou mieux encore, le monde ouvrier du dix-neuvième siècle décrit par Dickens, avec ses grisettes jetées dans la prostitution par les maquereaux qui les ramassaient dans les bals populaires de Londres.
Il y avait même un Jacques l’Éventreur. Ou plusieurs.
Cette fois, il le tenait son papier.
"

"Il", Tony Zambudio, brillant journaliste à El Diario, brusquement débarqué, à côté de ses santiags, de Madrid, Espagne, à Ciudad Juarez, État de Chihuahua, Mexique, pour enquêter sur une série de meurtres particulièrement violents, commis sur de jeunes ouvrières des maquilladoras, retrouvées dans le désert, violées et mutilées.
Tous les ingrédients d’un bon thriller sont ici réunis. Une vague de meurtres violents, des victimes aux profils identiques, un même mode opératoire, la chaleur insupportable de l’hiver mexicain, des flics corrompus, un journaliste rattrappé par son passé, et une star américaine dans le rôle principal : …cette foutue frontière !

Une frontière où s’entassent près de 3 000 complexes industriels (maquiladoras). Un chiffre en constante progression, à raison de 30 à 40 nouvelles usines par jour, toutes appartenant aux plus grands groupes mondiaux, et employant près d’un million de personnes, pour la plupart originaires du sud du pays.

Ainsi, au-delà des éléments romanesques, l’auteur, Patrick Bard, dresse un constat alarmant sur les ravages sociaux de la mondialisation et les décentralisations massives des usines d’assemblage occidentales vers ces zones franches, par ailleurs décrites par Naomi Klein dans son best-seller No logo.
Aussi le lecteur est averti : "Ciudad Juarez est bien cette ville violente décrite dans le roman. De la même façon, les conditions de travail des ouvrières de la frontière, aussi incroyables puissent-elles paraître, correspondent strictement à la réalité […] Et à ce jour plus d’une centaine de femmes ont mystérieusement disparu dans les dernières années, à Juarez."

À lire aussi :
L’effet Tijuana

P.-S.

La Frontière, de Patrick Bard, le Seuil, 2002, 331 pages.