Pardonne-moi car j’ai Peaches - Electroclash Fest de Chicago, 18/10/02

, par Alfred

Vendredi soir, croyant aller voir un concert de Peaches à Chicago, je suis tombé sur un nouveau mouvement musical, enfant secret d’Alan Vega et de Kim Gordon, l’electroclash a un tas de choses à dire. Et les shorts en skai, c’est bien aussi.

L’ Electroclash Fest de Vendredi dernier réunissait a Chicago, Illinois, quatre soucoupes volantes du meme escadron, Tracy and the Plastics, W.I.T., Chicks on Speed et en tête d’affiche Peaches. Je ne connaissais presque rien de la chanteuse, sinon qu’elle joue avec Chilly Gonzalez (merci bibs), son camarade canadien du label allemand Kitty Yo, jusqu’a la découverte de son site. Les animations et galeries hilarantes (l’improbable collection de photos de l’entrejambe de la star en concert…) valaient en elles-mêmes le détour, mais c’est surtout avec le brutal "Fuck the pain away" que Peaches s’imposa à moi (hm, si je puis me permettre). Peaches chante sur un fond de boîte à rythmes et de basse de synthé radical, elle parle énormément de cul, tout le temps, se trimbale en hot pants rose fluos en roulant des hanches comme un démon, et en même temps Peaches te tabasse à coup de beats quasi béruriers. Avant de savoir qui elle était j’étais resté ébahi devant un flyer pour un concert parisien, gros plan sur ses hot pants roses si je me souviens bien, avec le titre de l’album Teaches of peaches. Elle se plaint d’ailleurs de la réception qu’on lui a fait chez nous. J’aimerais bien savoir ce qui s’est passé. Ou c’était, quel genre de public était présent. Parce qu’il y a une scène pour la musique de Peaches.

Il y a même un nom officiel, figurez-vous, et si j’ai raté le train faites-moi signe, mais au concert de Peaches, je me suis pris la scène electroclash dans la face.

La référence ultime de l’electroclash est bien sur Suicide, les pionniers du groove bontempi au hachoir. Les groupes de l’Electroclash Fest chantent tous exclusivement sur fond de sons electro outrageusement cheap. Mais il s’agit ici aussi d’un évènement communautaire, ce dont je ne me rends compte qu’une fois sur place. Tous les hipsters se sont rassemblés, je me fais pitié, je suis pas habillé cool, voyez-vous, je n’ai ni le look néomod qui fait des ravages ici de nos jours, ni aucun look d’ailleurs, ça fait bizarre. La communauté gay et lesbienne est de sortie, surtout lesbienne d’ailleurs, qui vient voir un concert exclusivement féminin, qui présente l’excellente Tracy and the Plastics en première première partie. Un film passe sur un écran derrière Wynne Greenwood, le véritable nom de l’artiste. Un personnage qui évoque d’après moi une artiste contemporaine complètement décérebrée (voir interview en anglais de Wynne ici pour une meilleure explication) répond aux questions encore plus stupides d’une journaliste tout en présentant ses oeuvres. Wynne joue tous les rôles, dialogue avec elle-même depuis la scene, et balance ses sons de la mort entre deux scènes du film. Wynne/Tracy a une voix de diva, la musique tabasse, tout le monde adore, et Tracy déclenche des hurlements de soutien quand elle demande : "il y a des homos ici ? Non je veux dire vraiment parce que des fois ils ont honte de le dire. Moi-même je suis une ’gold star lesbian’". Apres recherche, le terme signifie qu’elle a gagné son étoile d’or pour n’avoir jamais couché, touché ou embrassé un homme de sa vie. Hm. OK. Whatever, comme on dit ici.

W.I.T. fait un peu baisser le niveau du concert. Les trois chanteuses se présentent en robe lamée blanche à la Marylin Monroe (genre celle du vent sous la jupe), avec un jeu de scène qui évoque les drôles de dames. On dirait qu’ABBA a viré les hommes, s’est offert un troisième membre et a renversé le champagne sur la k7 d’accompagnement, c’est marrant 5 minutes mais un peu chiant.

Chicks on speed, c’est un peu la même chose, mais en autrement plus euh, speedé. 3 femmes fringuées comme Pat Benatar période jungle urbaine, font la fete comme en 1981. Après Suicide c’est aussi toute la pop synthé de l’époque qui nourrit l’electroclash. Ou l’on se voit obligé de reconnaitre que finalement,il y a aussi des caracteristiques post-punk chez Depeche Mode, et si on enlève le chanteur et qu’on met tous les boutons dans le rouge, il y a quand même quelque chose.
Hm.

Oui je sais.

Chicks on Speed joue de la guitare en plastique pendant une chanson, joue de tous les clichés du rock des 80s, de l’electro des 80s, elles jouent les femmes du rock sur scène, dansent comme Cindi Lauper, et arrachent tout. La formule est différente de celle de Le Tigre, mais l’Electroclash Fest de ce soir est aussi une émanation du même esprit féministe néopunk. Très ironique, subtilement politique et incroyablement groovy, les femmes de l’electroclash revisitent non seulement l’histoire du rock mais aussi plus particulièrement l’histoire des sexes dans le rock.


Et une fois les chicks sorties de scène, Peaches fait son entrée. Après 3 groupes jouant sensiblement la même musique, Peaches fait la différence avec sa présence scènique. Et c’est peu dire qu’elle est là et bien là. Plus 80s que Peaches tu te suicides (ha ha) ; mullet bouclée triomphante, short shorts et petit tshirt, lunettes de soleil à la Poncherello, sac à main (?!), Peaches s’avance seule sur scène, pubis en avant, bouche grand ouverte. Entre des déhanchements syncopés bras en l’air que n’auraient pas renié la jeune Jeanne Mas (notre Pat Benatar à nous, n’est-ce pas) et des, euh, allégories visuelles à faire pâlir Dave Yow (son micro aura approché tous ses orifices, si je puis me permettre), Peaches met l’Abbey Pub à feu et à sang. Peaches grimpe au balcon depuis la scène en bottines pointues, se trémousse comme une damnée trois mètres au-dessus du sol, se frottant contre les spectateurs assis là-haut. Peaches se roule par terre, danse éhontément avec un forcené en slip avant de le renvoyer dans le public. "Rock show, you came to see a rock show" balance-t-elle, se tenant sur scène jambes écartées comme un guitar hero, montre du doigt le public comme Van Halen. N’est-ce pas ça le rock, bonne grosse guitare entre les jambes, pelvis uber alles, let’s go ? Qu’est-ce qui est le plus choquant, que Peaches se comporte comme une rock star, ou qu’elle se comporte comme "un" rock star ? Qu’elle parle de cul pire que Motley Crue, ou qu’elle le fasse avec une absence totale de bon goût et une conscience des répercussions de l’acte que l’on ne reconnaitra pas aux débiles glamrockers ? Peaches déambule dans différents clichés scéniques pour nous les remettre dans la tronche, avec force, et on en redemande. Je me demande aussi ce qu’elle représente dans la communauté lesbienne ; est-elle l’équivalent des groupes glam des 80s, est-elle appréciée pour l’ironie ? Dans une interview, Peaches évoquait un concert où un groupe d’hommes et un groupe de lesbiennes se sont affrontés verbalement pour décider si Peaches était un concert "pour les hommes ou pour les femmes" Peaches évidemment, n’a pas d’avis. Elle s’en fout, elle fait sa musique, point. It’s only rock n’ roll, nous dira-t-elle.

Electroclash. On va enfin pouvoir avouer nos amours cachées pour la décennie maudite tout en prétendant, si besoin est, que c’est juste pour rigoler. Prenez-le de n’importe quel côté, Peaches et l’electroclash gagnent toujours à la fin. Si vous êtes là pour une bonne rigolade, vous rigolerez surement, avec les membres des groupes d’ailleurs. Si vous espériez le pendant féminin d’Alan Vega, vous rentrerez chez vous avec la pêche (il fallait bien que je la place…). Si vous avez toujours secrètement vu un lien entre Suicide et Nitzer Ebb, ou juste entre vous et Depeche Mode, souriez : vous n’êtes plus seuls.
L’electroclash est la coqueluche des hipsters, le truc à la mode du moment. C’était prévu, cela dit. Les groupes du festival connaissent leur base communautaire, leur extension dans l’élite hype, jonglent avec les deux pour délivrer un message au monde beaucoup plus profond qu’il n’y paraît, pour ceux que ça intéresse. Dans le même mouvement vous apprendrez sûrement un tas de choses, comme le promet les "teaches of peaches". Ceux qui sont simplement venus voir un concert de rock le trouveront aussi. C’est peut-être ça, le rock postmoderne.