Propagande de classe sur le racisme ouvrier

La classe ouvrière britannique n’est pas plus raciste que l’homme en costume qui parle dans ton poste de télévision

, par Nico Melanine

Un minimum d’investigation permet d’établir que le mouvement de grève sauvage entamé à la raffinerie de Lindsey en Grande-Bretagne a des revendications légitimes. Par réflexe de classe, et plutôt que de s’attaquer aux vrais problèmes, les médias et politiques n’ont de cesse d’accuser les grévistes de racisme.
Déconstruction du mythe et rétablissement de quelques vérités.

Ca n’étonnera personne, mais il convient de le signaler dans l’affaire qui concerne les grèves sauvages organisées dans les raffineries Total en Grande-Bretagne : les médias mentent. Il convient de le signaler car la propagande est telle que beaucoup se méprennent sur la teneur et les objectifs de la grève.

On nous dit que les ouvriers font grève contre l’emploi de main d’oeuvre étrangère, à savoir des italiens et des portugais, employés par la société de sous-traitance IREM. Comprenez : l’ouvrier anglais ne veut pas qu’un italien lui pique son boulot. Comprenez : l’ouvrier de base est raciste. Le cliché manque d’originalité, mais les journalistes le ressortent avec un naturel impressionant. C’est que ce mythe est bien ancré dans la tête des classes moyennes et dirigeantes. Il a été construit au cours de nombreuses années d’éducation, passées dans les plus prestigieuses institutions du pays.
Sauf que, si on procède à un minimum d’investigation, on se rend compte que cette grève n’est pas contre l’emploi de main-d’oeuvre étrangère, mais pour un accès équitable aux emplois pour tous et contre le licenciement massif d’une partie de la main d’oeuvre déja employée localement. Dans les faits, celle-ci sera en effet remplacée par les travailleurs de la société IREM, qui seront évidemment payés au rabais, même si la compagnie refuse de l’admettre (ou de rendre public les termes de l’accord).

Pourquoi alors les journalistes ne qualifient-ils pas cette grève de “grève contre des licenciements abusifs” ou de “grève pour le respect des droits minimums” ? Pourquoi préfèrent-ils jouer la carte du racisme, jouer la carte des ouvriers qui s’en prennent à d’autres ouvriers ? Pourquoi accusent-ils à la première occasion les grévistes de connivences avec le British National Party (principal parti d’extrême droite anglais) alors même que les membres de ce parti qui ont tenté d’intervenir sur le terrain se sont faits évacuer sur demande des grévistes ?

On peut trouver une démonstration frappante du type de procédé utilisé par la BBC pour faire passer son message sur cette vidéo.
On voit clairement qu’une citation d’un gréviste est tronquée dans un premier reportage (BBC1) de façon à impliquer qu’il ne veut pas travailler au côté d’étrangers. Voici le commentaire en voix off, ainsi que la citation (tronquée) :
Voix Off : “Derrière la peur, craignent les ministres, se trouve de la xénophobie pure et simple”
Gréviste : “Les portugais et les ritals, on peut pas travailler à côté d’eux”

Dans le deuxième reportage (BBC2), le gréviste est cette fois cité en entier :
“Les portugais et les ritals, on peut pas travailler à côté d’eux - on est complètement séparés d’eux. Ils viennent avec leurs propres compagnies”.

La citation se comprend donc tout à fait différemment, et le fait de l’avoir coupé ne peut qu’être imputé à la volonté de la BBC de faire passer ce gréviste, et avec lui tout le mouvement de grève, comme raciste.
Comme l’explique un commentaire laissé sur le forum d’un site tout à fait informatif que les travailleurs et grévistes utilisent pour communiquer entre eux, ce que le gréviste expliquait c’est bien que :
“on ne peut pas travailler avec les italiens et les portugais parce qu’ils sont complètement séparés de nous, puisqu’ils n’utilisent pas les mêmes locaux, c’est-à-dire cabines, cantine, etc... Le fait qu’ils soient tenus à l’écart de la communauté locale sur cette péniche et transportés directement sur le site ne fait que renforcer cette division”

Il ne s’agit pas de soutenir sans condition ce mouvement de grève ou d’impliquer que le prolétariat est pur et a toujours raison. Certainement les slogans utilisés pendant cette grève (“Des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques”) ont été néfastes, idiots et contraires aux principes de solidarité internationale de base. Et on ne peut que regretter que l’ensemble des grévistes n’en ait choisi d’autres. Cependant, on remarquera tout de même que ce sont les mots du premier ministre travailliste Gordon Brown qui ont été mis sur ces pancartes, et qui lui sont renvoyés, de façon ironique, avec une exigence de résultats, comme pour dire “tenez vos promesses”. Aussi, il est difficile de savoir comment cela s’est passé, qui exactement a choisi d’utiliser ces slogans, qui les approuve ou non, mais des informations tendent à indiquer qu’ils seraient avant tout l’oeuvre d’une poignée de représentants syndicaux du syndicat Unite. Les pancartes avec le slogan portaient en tout cas le logo du syndicat, et on peut penser que le syndicat a joué cette carte, de façon à se faire entendre, et sans penser aux conséquences des mots utilisés.

On peut alors choisir de dire que l’ouvrier de base est raciste, mais on peut aussi constater que c’est lui qui subit les conséquences des politiques libérales qui permettent d’employer des étrangers au rabais, avec des droits réduits, qui jouent une nationalité contre une autre, etc...
Et à partir de là, on ferait mieux de réaliser que son mécontement est légitime et que ce qu’il s’agit de comprendre ici c’est comment ce mécontentement est instrumentalisé par les classes moyennes et dirigeantes, que ce soit les politiques, les journalistes ou les élus syndicaux.

Encore une fois, il ne s’agit pas d’excuser les erreurs ou les écarts de ce mouvement de grève. Il est évident que parmi les grévistes certains font preuve d’un sentiment nationaliste. Mais une grève est un processus collectif complexe qui implique de nombreux individus. Il s’agit ici avant tout de remettre en question l’image globale fausse qui est donnée du mouvement et d’en établir les points légitimes.
Pour cela, la consultation du forum du site bearfacts, où les grévistes communiquent entre eux, se révèle fort utile et permet de réaliser que les demandes des grévistes n’ont rien à voir avec la présentation qui en est faite dans les médias.
On notera également que deux membres du Socialist Party (bien plus à gauche que son équivalent français) se trouvent dans le comité de grève. On gagne donc à visiter le site internet du parti pour trouver des informations un peu fiables. Cette page donne un résumé des évènements. En voici un extrait, qui contredit clairement toutes les fausses conceptions qui sont colportées sur le mouvement :

“Les travailleurs de LOR, Conoco et Easington n’ont pas entrepris une grève contre les travailleurs immigrés. Notre action est dirigée contre les patrons des compagnies qui essayent de jouer une nationalité de travailleur contre une autre et de saper l’accord NAECI (Accord National pour l’Industrie de l’Ingénierie et de la Construction).”

A la lumière de ces déclarations, on regrette que le groupe CAIC (Campaign Against Immigration Control), un groupe de militants de Londres opposés aux contrôles migratoires (qui comprend des trotskistes mais aussi des anarchistes et des gens de tous horizons), ait appelé à manifester contre cette grève. C’est se méprendre sur la teneur de la grève, ne pas remettre en question l’image qui est donnée des grévistes, et manquer d’apporter son soutien aux demandes légitimes des grévistes.

Avant que d’autres militants trotskistes ne se décident à condamner à nouveau ce mouvement de grève (faisant ainsi usage du droit inné qu’ils ont à diriger la classe ouvrière) sur la base qu’il serait ’contre-révolutionnaire’, il n’est pas inutile ici de citer quelques-unes des demandes du comité de grève non-officiel :
- Non à la victimisation des travailleurs qui entreprennent une action de grève solidaire
- Tous les travailleurs au Royaume-Uni couverts par l’accord NAECI
- Toute la main d’oeuvre immigrée doit être syndiquée
- Assistance syndicale pour les travailleurs immigrés - avec des traducteurs - pour donner le droit d’accès à des conseils syndicaux - pour promouvoir l’intégration active des membres du syndicat.

Encore une fois, on est loin de la représentation générale qui est donnée du conflit. On insiste ici sur la protection de tous les travailleurs, notamment des travailleurs immigrés, et sur l’opposition à d’éventuelles représailles contre les mouvements de grève entrepris sur d’autres sites en solidarité à cette grève sauvage initiale - ces mouvements de grève solidaires étant d’ordinaire rares puisque devenus illégaux dans les années 80, sous l’égide de Thatcher.

Mais puisque les journalistes des médias traditionnels ne parleront jamais de ça, puisqu’ils ne feront jamais que réciter ce qu’on leur a inculqué, qu’inviter des hommes politiques qui partagent leurs points de vue sur le monde, que tronquer les paroles de la population qu’ils accusent et condamnent, je termine sur le commentaire d’un gréviste, pris (presque) au hasard sur un forum du même site bearfacts, qui indique bien de quel côté se trouvent le mépris, l’injustice et l’inégalité :

“Je ne me plains pas de travailler avec nos frères étrangers, puisque j’ai travaillé à l’étranger moi-même, mais ce qu’il faut dire c’est les employeurs sans scrupules qui exploitent nos frères. J’ai vu de mes propres yeux comment ils les traitent, par exemple à l’incinérateur de Slough l’année dernière, demandez à n’importe qui ayant travaillé là-bas, main d’oeuvre mal payée et entassée dans des logements étroits, c’était avant que le contrat soit retiré a dit l’employeur. C’est là qu’il y a l’inégalité à la base pour l’embauche.”