17 Mars 2003
Bonjour,
Je pense que vous avez pour la plupart dû entendre parler de la mort de Rachel Corrie.
Rachel était une personne remarquable. Elle était intelligente, créative, un peu artiste. Elle avait un vrai sens de l’humour, elle aimait la vie et était incroyablement belle, physiquement et intérieurement.
Dans ce mois passé à Rafa nous avions développé une relation amicale très forte.
Ce qui lui est arrivé est une tragédie et un meurtre.
Ce fut un gâchis humain inutile et tragique.
Ce que Rachel, les autres internationaux et moi faisons ici est bien évidemment très risqué. Il ne se passe pas une journée sans que je craigne d’être touché par une balle perdue parce que la Force de Défense Israelienne tire régulièrement au hasard partout dans la ville.
Mais je n’aurais jamais pensé que l’un d’entre nous se ferait tuer par un de ces bulldozers si lents et lourds.
Rachel se tenait devant la maison d’une famille dont elle était très proche. Depuis trois mois un européen ou un américain y dormait chaque nuit, et Rachel y avait elle-même passé plusieurs nuits.
Rachel se tenait bien en évidence. Il n’est pas possible que le conducteur du bulldozer ne l’ait pas vue. Elle portait un gilet orange fluo. Nous étions huit en tout sur les lieux, quatre américains et quatre britanniques.
Il y avait deux bulldozers et un tank.
Notre groupe s’était disséminé parce que les bulldozers attaquaient une surface assez grande comprenant trois maisons toujours occupées par des familles.
Rachel a tenu tête au bulldozer seule parce qu’elle connaissait cette famille et parce qu’elle pensait que son action était juste.
Les destructions de maisons par ces bulldozers étaient et sont illégales.
S’approchant de plus en plus de Rachel, le bulldozer a commencé à pousser la terre sous ses pieds. A quatre pattes, elle essayait de rester au sommet de la pile qui ne cessait de monter. A un moment elle s’est retrouvée assez haut, presque sur la pelle. Suffisamment près pour que le conducteur puisse la regarder dans les yeux.
Puis elle a commencé à s’enfoncer, avalée dans la terre sous la pelle du bulldozer.
Le bulldozer n’a pas ralenti, ne s’est pas arrêté. Il a continué à avancer, pelle au niveau du sol, jusqu’à lui passer sur tout le corps.
Alors il s’est mis en marche arrière, la pelle toujours au sol, et lui est repassé dessus.
Tout le temps que dura cette scène d’horreur, mes six compagnons et moi lui avons crié d’arrêter en courant vers l’endroit.
Rachel gisait sur le sol, tordue de douleur et à moitié enterrée. Sa lèvre supérieure déchirée saignait abondamment. Elle ne put que dire "je me suis cassé le dos". Après ça elle n’arriva plus à dire son nom ni même à parler. Nous l’avons tenue et lui avons dit de se détendre. Je lui ai demandé de serrer ma main, ce qu’elle a fait, ce qui prouve qu’elle nous entendait. Je lui ai demandé de respirer avec moi, inspire, expire, inspire, expire, et elle l’a fait. Nous lui avons tous dit que nous l’aimions.
Mais on pouvait voir son état se détériorer rapidement. Des signes indiquant une hémorragie interne à la tête apparurent bientôt.
- Dreg est sur la gauche...
Après environ un quart d’heure des brancardiers sont arrivés et l’ont emmenée à l’hôpital.
Certains diront et disent déjà que ce que nous faisons ici est excessivement dangereux et stupide.
Je suis d’accord.
Je ne voudrais rien de plus au monde que de revoir Rachel vivante.
Mais cela ne change rien aux faits : Rachel a été assassinée.
L’armée israelienne a comms deux crimes : elle a commis un meurtre alors même qu’elle se rendait coupable de destructions illégales.
Rachel, elle, n’avait commis aucun crime.
L’IDF a déjà commencé à tourner cette histoire, en disant que Rachel avait glissé devant le bulldozer, et que des tirs nourris sur les lieux avaient motivé leur comportement agressif. Tout ceci est faux. Il y a sept témoins oculaires internationaux et des photos pour prouver la vérité.
Je suis en état de choc et je souffre. J’ai appris beaucoup plus que je n’ai jamais voulu savoir sur ce que ressent un Palestinien.
La plupart de mes amis ici ont décidé de rester, et d’autres encore vont venir nous rejoindre.
Moi j’ai décidé de raconter l’histoire de Rachel.
Au-delà de ça, je compte quitter cet endroit bientôt (si je le peux), car je ne pense pas pouvoir en supporter beaucoup plus.
Tout cela la veille de "Guerre en Irak II", bientôt dans une machine à propagande près de chez vous.
Love
Dreg