All those long, long notes... what’re they up to, all that time to do something inside of ? is it an Indian spirit plot ?
Thomas Pynchon, Gravity’s Rainbow
Plumes et perles
Un soir il y a quelques semaines, notre pote Frenchie, qui n’a de francais que le nom, nous fait savoir qu’il va voir un film dans une universite locale, dans le cadre d’une serie sur les films des nations indiennes. C’est jeudi soir, on est dans le coin, allons donc y voir. Au programme ce soir-la, deux films The Business of Fancydancing de Sherman Alexie et Once upon a time in Skokie, court-métrage par Ernest Whiteman III. Alexie occupe une place unique sur la scène littéraire américaine. C’est pour ainsi dire le seul écrivain amérindien qui ait totalement passé les barrières communautaires, pour devenir une espèce de star ethnique de la littérature américaine. Rappelez-vous, nous sommes au pays du communautarisme anglo-saxon. Alexie est membre de la tribu Spokane, né dans une réserve de l’état de Washington. Poète, romancier, novelliste, c’est le succès du film Phoenix Arizona de Chris Eyre(titre original : Smoke Signals), dont Alexie écrit le scénario à partir d’une de ses nouvelles, qui le consacre comme un des grands écrivains du moment. Ses recueils de poèmes, nouvelles et romans (tous traduits) et la pluie de trophées ont fait de lui l’écrivain indien le plus visible des Etats-Unis. On l’aura vu à la television avec le président Clinton dans un débat sur la question raciale aux Etats-Unis. Il détient le record de victoires consécutives dans le championnat du monde de poésie poids lourd, ou il a défié d’autres pointures dont Saul Williams. Sa première incursion dans la réalisation cinématographique est une réussite. Ce film aux accents autobiographiques reprend les grands thèmes présents à travers son oeuvre. Les textes d’Alexie racontent les anecdotes douloureuses de la vie en réserve, les milles et unes surprises de la condition amérindienne en Amérique. Depuis qu’il connaît le succès, Alexie questionne inlassablement sa position, le cul entre les deux chaises de l’identité ethnique et des compromis de la vie en société blanche. Alexie a toujours parlé de la réserve, mais il le fait maintenant face à des audiences quasi-exclusivement blanches.
Le personnage principal du film, Seymour, est aussi un poète indien à succès. Il a quitté sa réserve d’origine pour aller à l’université, ou il a commencé sa carrière artistique. Lorsqu’un de ses amis d’enfance meurt à la réserve, il y retourne pour la première fois depuis des années, et y est confronté à son autre ami Aristote, avec qui il eut une relation très intime, mais qui a lui choisi la réserve. Le film saute de la veillée à des épisodes plus anciens de la vie des personnages, leur écartèlement entre la réserve et le monde extérieur, entre les reproches des indiens et les conneries des blancs. La narration est régulièrement entrecoupée de scènes montrant Seymour revetu d’un costume traditionnel, dançant la Fancydance. Il se voit souvent casé dans la position peu enviable du vendu qui fait son beurre sur les malheurs de son peuple. A la fin du film, Seymour quitte à nouveau la réserve non sans avoir symboliquement déposé les plumes et perles du costume traditionnel, alors qu’un Aristote saoul et colérique danse la fancydance dans le rétroviseur de Seymour.
- Ernest va de l’avant, un oeil sur le retroviseur.
Le musée imaginaire
« Je demande souvent à l’audience qui ils préfèrent, Seymour ou Aristote ? La plupart du temps ils répondent Aristote, parce qu’il représente l’idée qu’ils se font de l’indien, pauvre, alcoolique, parqué dans sa réserve ». Prends donc ça dans ton visage pâle. C’est Ernest Whiteman III qui parle. Le réalisateur Arapaho du Nord présentait son court-métrage à une petite audience partagée entre étudiants et vieilles rombières en goguette, et répondait à des questions. Et quelles questions. Debout dans son t-shirt Superman, Ernest a bien du mal à dissimuler son ennui devant le bombardement de conneries sortant des bouches de nos grand-mères bien pensantes. Elles sont venues parce qu’elles aiment les indiens, on dirait. Elles portent des bijoux indiens, peut-être des moccassins. Elles n’ont vraisemblablement pas pris pour elles les piques lancées par Ernest dans son film contre les acheteurs de dreamcatchers pour rétroviseurs. L’une d’entre elles veut savoir si les indiens contemporains n’ont pas perdu leur connexion à la terre, parce qu’elle a lu le livre du chef Seattle et que quand même, c’est vachement profond. Une autre veut savoir si la très basse espérance de vie des indiens d’amérique n’est pas due au fait qu’ils ont remplacé leur régime de viande de bison par une alimentation « américaine » Une autre se demande si le taux de suicide, ce n’est pas parce que les Indiens se sentent vaincus, oui oui ma bonne dame, et toutes d’opiner.
La salle fait partie du musée indien de l’université d’Aurora, est remplie d’artifacts archéologiques. Whiteman pointe du doigt un tipi reconstitué, et explique gentiment que tout ce qu’on voit ici n’existe plus, que l’indien contemporain est plus un redneck à queue de cheval qu’un sage peau-rouge de cinéma. Peine perdue. La scène illustre à merveille le paradoxe de l’artiste indien du XXIième siècle, condamné à combattre le trou noir temporel ou l’a installé la culture occidentale, obligé de se débarrasser de plumes et de perles qu’il ne porte même pas.
Qu’il le veuille ou non, l’artiste indien, et plus particulièrement ici le réalisateur, se voit forcé d’adresser encore et encore l’un des plus vieux stéréotypes racistes cinématographiques. Avant de pouvoir discuter de l’Indien contemporain, il faut encore et toujours enterrer le brave des Grandes Plaines. Que ce soit la sculpture en bois à l’entrée du bureau de tabac, les innombrables mascottes d’équipes sportives lycéennes, universitaires et professionnelles (pour en citer quelques-unes, les Fighting Illini et leur mascotte le chef Illiniwek, les Chicago Blackhawks, les impayables Washington Redskins), ou le probablement inconnu de tous Bison Futé, l’image indienne appartient à tout le monde sauf auxdits Indiens. C’est en train de changer.
Le film présenté ce soir par Whiteman fait aussi partie de la sélection du neuvième Festival du Film des Nations Premières(First Nations Film Festival], une manifestation qui montrait sur une semaine une quarantaine de films réalisés par des membres de diverses nations indiennes. Le festival était organisé par l’American Indian Center de Chicago, la principale extension de la communauté indienne locale.
« Plus de 100 tribus sont représentées à Chicago » ; la diversité de la communauté indienne chicagoenne est le résultat du sensiblement nommé Termination and Relocation Act de 1954, loi à la base d’un programme visant à pousser les indiens hors de leurs réserves pour tenter de les intégrer bon gré mal gré à la société américaine d’après-guerre. « Plutôt effrayant comme nom, non ? L’idée etait de détruire le lien que les indiens avaient avec leur propre passé et leur identité pour essayer de les incorporer a la société blanche, et pour cela il fallait les détacher de leur environnement, leur langue, leur culture. » Un grand nombre d’Amérindiens quittent leurs réserves (la plupart se trouvent à l’Ouest du pays) pour de grands centres urbains, notamment Chicago, Oakland, San Francisco et Minneapolis. Le rêve de changement ne dure pas longtemps. L’adaptation est difficile, le gouvernement s’en lave les mains, et le retour à la réserve est quasi-impossible, nombre de familles ayant tout sacrifié pour la quitter. La relocation ôte même les maigres bénéfices gouvernementaux de nombre d’entre eux ; « Chaque tribu a une liste de membres, et à l’époque de la relocation beaucoup de gens ont quitté les réserves, et quand l’appel est arrivé ceux qui n’étaient pas là ont été effacés des tables officielles ». Pour information, le gouvernement tient des tables bien précises concernant qui est un Indien ou pas. « Si tu as plus d’ 1/4 de sang indien tu es considéré comme membre d’une tribu. Il y a des mouvements qui considèrent que tu n’as vraiment pas besoin de ca pour etre un indien, tant que la connexion culturelle est présente, tu devrais pouvoir dire que tu es indien. Mais c’est comme ca que tu as accès aux droits et privilèges garantis aux indiens par le gouvernement. » Le Code Noir pour les Rouges. Sympathique.
Les efforts d’organisations de ces communautés déplacées se sont souvent caractérisés par la création d’associations dont l’AIC de Chicago est l’un des plus anciens exemples. Le Centre existe depuis environ 50 ans, et fournit des locaux de réunion pour la communauté amérindienne locale. Des pow-wows et autres rassemblements y sont organisés régulièrement et ce mois-ci, leur neuvième Festival du Film.
« C’est le neuvième Festival du Film organisé par l’AIC. Il avait commencé au début des années 90, mais s’était arrêté faute de moyens jusqu’en 1999. Je ne sais pas pourquoi ils continuent de l’appeler annuel ! » Maintenant développeur informatique et responsable des demandes de subvention pour l’AIC, Ernest est né dans la réserve de Wind River dans le Wyoming. « Les réserves ne sont pas les endroits les plus cools de la planète ; certaines sont de véritables bidonvilles. Le gouvernement fournit des logements et quelques services médicaux et s’en lave les mains ». L’espérance de vie d’un indien culmine à environ 52 ans, et les taux de suicide et d’alcoolisme sont effarants. « Quand ils sont forcés de vivre dans des conditions abominables, beaucoup de gens abandonnent tout espoir. » Dès le lycée, Ernest décide de devenir réalisateur, après avoir vu...Rattle and Hum, le film de Phil Jonah sur U2.
« Je voulais être the Edge, j’avais le look et tout... tout le monde écoutait du metal et moi j’écoutais U2. Pour voir Rattle and Hum j’ai dû faire 150 km pour trouver le seul cinéma du coin à le jouer. Je pensais que faire un film sur U2 était un bon moyen de les rencontrer, alors j’ai commencé à faire des recherches et j’ai découvert que Jonah contrôlait tout sur le tournage. Il a commencé comme monteur, alors je me suis dit que j’allais faire la même chose, et c’est ce que j’ai fait au lycée. »
Who controls the controlmen ?
- Il suffit d’1/16ème de sang indien à Billy Jack pour devenir frère du serpent. Chapeau.
Le cinéma n’est pas une activité très développée dans le Wyoming. Contraint d’abandonner ses études un temps pour travailler, Ernest ne perd pas de vue ses vélléités cinématographiques. Il retourne à l’Université pour étudier la télédiffusion, faut de mieux. Suite au décès de sa mère, Ernest décide qu’il est temps de changer d’air. Il refuse une proposition d’embauche de la NASA pour suivre le conseil d’un de ses frères, et s’inscrit à Columbia University à Chicago.
Les premiers mois à Chicago sont pour le moins déroutants. « J’avais l’impression d’etre le seul indien au monde ! » C’est un article des pages culturelles du Chicago Reader qui fait découvrir à Ernest le festival de film et l’AIC. Dave Spencer, responsable du programme artistique du Centre, demande à Ernest de prendre en charge le site internet du centre et du festival, puis d’entrer au jury de sélection. Des festivals similaires sont organisés dans tous les grands centres urbains où résident de fortes communautés indiennes. « Il y en a un tous les ans à San Francisco, quelques autres en Arizona et au Nouveau Mexique. Je sais que la nation Cherokee à son propre festival de films, et il y a aussi un festival à Toronto. Ils ne sont pas aussi visibles qu’ils devraient, mais ils existent, et ils commencent à gagner en popularité. »
C’est que la tâche est ardue, et pour Whiteman, au-delà de la manifestation artistique, ce festival est ni plus ni moins une démonstration de force. Il s’agit pour la communauté indienne de se réapproprier l’image de l’indien, confisquée au fur et à mesure de l’avancée coloniale vers l’Ouest des Etats-Unis. A l’époque où Fenimore Cooper jette les bases du roman pionnier, les Etats-Unis sont encore en nombre limité, s’étalant principalement sur la côte Est. Avec les grandes vagues de colonisation viendront la mythification des hommes de la frontière ; les tribus indiennes sont réduites à l’Indien, sauvage emplumé et rétrograde, l’éternel ennemi en négatif de l’Occident moderne et civilisateur. La machine à images coloniale marche à plein. Dans sa grande meule, les specificités des nations indiennes sont réduites à néant ; tous les Indiens portent des plumes, se baladent à cheval, etc. l’avancée vers l’Ouest est l’avancée de la technologie sur la barbarie, suggère-t-on en permanence, dans les journaux, au Congrès, quand il s’agit une fois encore de briser un traité pour ouvrir les terres indiennes aux nouveaux colons. Les Indiens doivent être moins que des hommes pour justifier le traitement qui leur est réservé, une méthode vieille comme la guerre coloniale.
Quand les guerres indiennes touchent à leur fin après le massacre de Wounded Knee en 1890, les Indiens sont déjà plus des personnages dans les spectacles de Buffalo Bill que des êtres de chair et d’os. Avec les premiers balbutiements du cinéma, la colonisation semble complète ; l’image même des Indiens ne leur appartient plus. Elle est devenue une partie inséparable du mythe de l’Ouest, mais elle contrôlée par ceux qui répandent ce mythe. Et pour faire briller le cowboy, il faut que l’Indien soit irrémédiablement un personnage du passé, le visage à tout jamais impassible, la plume au vent, debout sur une colline sur fond de soleil couchant, prêt à se jeter sur un cowboy ou un autre...
Dans les années 60, Hollywood se rend soudain compte que tous les Américains ne sont pas blancs, et que même les minorités raciales ont de la tune, qu’elles sont prêtes à dépenser pour aller voir des gens qui leur ressemblent castagner sur les écrans. La vague sincèrement commerciale dite de « blaxploitation » s’empare des cinémas. A la même époque, Soldier Blue et Little Big Man sont les premiers westerns à présenter de front les atrocités blanches contre les Amérindiens. Plus tard, la série Billy Jack, quasi inconnue de par chez nous mais culte de ce côté de l’océan, présente un métis, ancien forces spéciales, un peu shaman sur les bords, qui malgré ses tendances hippies n’hésite pas à recourir au coups de pieds dans la face pour sauver la veuve, l’orphelin, et toutes choses vivantes. A voir [1].
« La vision des indiens dans Soldier Blue et Little Big Man était différente, mais il s’agissait encore d’indiens du XIXème siècle. Un film comme Billy Jack, montre une vue contemporaine des indiens, mais cette vue est encore contrôlée par un Blanc, qui nous dit voici comment les indiens devraient être. Il déforme la réalité indienne, mais amène les gens à penser que tout est vrai... dans Billy Jack, le réalisateur a pris des ingrédients dans diverses cultures indiennes, en disant que ce film parlait pour tous les indiens. Il y a plus de 300 tribus existant de nos jours, et elles ont toutes leurs cérémonies et cultures séparées. Tout est modernisé, bien sûr, ce n’est plus ce que c’était il y a cent ans, mais c’est unique à chaque tribu. »
Plus que la Blaxploitation, c’est l’exemple de Van Peebles que Whiteman appelle de ses vœux : « Quand on regarde les noirs au cinéma avant les années 60, on voit tous ces inexactitudes racistes : ils sont tous maquereaux, criminels ou dealers. Puis Van Peebles arrive et fait de ses héros des macs, des dealers. En s’appropriant le stéréotype, il lui ôte son pouvoir, il dit, OK, on va être tout ce que vous dites que nous sommes, on va se servir de ces images et on va voir ce que vous pensez de notre pouvoir, puis ils ont commence à faire du grand cinéma d’action noir américain, c’est ce que nous devons faire, nous devons nous approprier le stéréotype de l’indien des Grandes Plaines et en faire quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant. »
La sortie de Smoke Signals, sinon l’acte fondateur du cinéma amérindien, est à ce jour sa plus grande réussite. Le premier film réalisé, produit et écrit pas des Amérindiens a bien marché en salles, et a remporté des prix un peu partout dans le monde. Whiteman aimerait aller plus loin. « Même si j’aime beaucoup des films comme Skins ou the Business of Fancydancing, j’ai toujours pensé qu’ils allaient un peu trop loin en cela qu’ils essayent de faire de l’art, plutot que d’essayer de se reapproprier les stereotypes. Je me rappelle avoir entendu Chris Eyre dire que faire un film est comme une cérémonie, avec les mêmes implications qu’une cérémonie. Je pense que c’est des conneries. Si tu filmes quelqu’un qui prend un ballon dans les parties, de quel genre de cérémonie on parle ? C’est drôle, le message passe, ça fait rire les spectateurs, tu obtiens une réponse émotionnelle et pour obtenir ce genre de contrôle en tant que réalisateur il ne faut pas avoir peur de faire un film débile. Mon projet de long métrage est un film d’action, un indien dans un film hollywoodien. »
Au centre du problème, comme le répète inlassablement Whiteman, est l’image et qui la contrôle. Il ne s’agit pas juste de changer les stéréotypes, d’exprimer une élusive voix indienne. Cette voix s’exprime aussi dans les coulisses du cinéma, dans la production, dans le tournage lui-même. L’expression des voix indiennes passe aussi par le contrôle de tous les aspects de la production cinématographique. L’exemple pour Ernest comme pour Rod Pocowatchit, est Robert Rodriguez. « Il a une attitude plutot punk par rapport à Hollywood, DIY, une direction que j’aimerais voir prendre le cinéma. La plupart de ses films sont autoproduits, et il fait tout, il tient la caméra il organise même l’éclairage. Il écrit ses histoires, il monte, et dernièrement il s’est mis à composer la musique de ses films (once upon a time...). » Ses films sont personnels, et c’est en cela qu’il s’affirme comme une voix unique. Pour Ernest, le film indien ne grandira que si des voix indiennes individuelles s’affirment, et évitent l’écueil de LA voix indienne, la tentation de parler en permanence au nom de cultures opprimées, de faire de chaque film un manifeste. C’est avec cette idée en tête qu’Ernest a réalisé « FILM BY COMMITTEE (formerly titled : the Matrix sucks) » un court-métrage hilarant présenté le soir de l’ouverture du festival. L’histoire est simple : le héros du film avoue un beau jour ne pas avoir vu Matrix. Face au désarroi à l’incrédulité et bientôt la colère de ses amis, que fera notre héros ?
Le film d’Ernest est aussi le seul film du festival sans indien :
« Un film sans indien, qui ne concerne pas les indiens. Pour moi c’est une autre forme d’autorepresentation, je me represente comme realisateur, celui qui contrôle dans les coulisses pour ainsi dire, plutot que dans l’image. » A faire trop d’art, Ernest pense que les réalisateurs indiens risquent de s’aliéner leur propre population. Si le but avéré est véritablement d’offrir une voix à la communauté indienne, il va falloir ratisser large. « Un gamin indien qui regarde XXX (Vin Diesel) chez lui et se dit qu’il veut faire un film comme ça, il va regarder autour de lui et voir qu’il n’y a rien d’ autre que The Business of Fancydancing ou Smoke Signals, et il va se dire, « non je veux pas être comme ça ». il faut rester ouvert a tous les genres, pour laisser une chance a tous les genre d’Indiens. » En s’exprimant, Ernest exprime forcément une voix indienne. Quelque chose finit toujours par transparaître.
Danse sur la Lune
La sélection du festival semble avoir été faite avec ces considérations à l’esprit. Le soir de l’ouverture, au Centre à Chicago, une soixantaine de personnes sont présents dans la salle principale, jeunes et vieux, de toutes les couleurs. Ce soir une série de courts-métrages suivis du long Dancing on the Moon par Rod Pocowatchit. Le court qui sort du lot est sans conteste Moccasin Flats de Randy Redroad, réalisateur Cherokee du Canada. Le film est situé dans le ghetto indien éponyme de la ville de Regina dans le Saskatchewan. Le jeune Justin est accepté dans une université, ce qui devrait lui permettre de quitter la grisaille de Moccasin Flats. Mais la sortie de prison de Jonathan, qui fut un temps le maquereau de Kristin, la petite-amie de Justin, change la donne. L’intrigue est relativement classique, mais délivrée avec force. Jonathan et Justin se confrontent au sujet de Kristin, et bien vite la situation escalade. Le meilleur ami de Justin est tué par Jonathan et ses amis. Justin pense à tuer Jonathan. Le fil conducteur du film est familier. C’est l’image du danseur traditionnel, que l’on retrouve ici encore, et aussi au centre de Dancing on the Moon. Son symbolisme est chaque fois différent. Justin confronte Jonathan en public en exécutant sa danse, qu’il finit en plantant un poignard sur la table de Jonathan. Jonathan mourra quelques temps apres aux mains d’une de ses protégées, de ce poignard qu’il avait utilisé contre l’ami de Justin. Un cercle complet, comme une danse ? Redroad a aussi réalisé des clips pour le groupe de rap Canadien Indien the Rez Crew.
Le film de Pocowatchit est un long-métrage tourné à l’huile de coude, entre amis et famille, gratuitement entre boulot et averses. Le résultat est impressionant, tant par la qualité de l’image (j’oublie comment il a essayé de se débarrasser de l’image dv mais c’est une réussite) que par le jeu des acteurs, qui réussissent plus souvent qu’à leur tour à nous faire oublier qu’après tout, ils sont là surtout pour aider leur pote.
Dean, Joey et Mark sont des frères plus que des amis. Ils partent en voyage pour un grand pow-wow dsans le Kansas. Dean est un danseur, mais il refuse de danser depuis la mort de sa mère. Joey est le gentil benêt, multipliant des conneries que Dean se voit toujours obligé d’arranger. Mark est une boule de nerfs travaillant sur ses problèmes identitaires à force d’aggressivité et de réparties assassines. Au court de leur périple, ils se feront voler leur voiture pour la retrouver avec une inconnue endormie à l’arrière. Continuant le voyage avec elle pour un temps, ils se voient tous confrontés à leurs problèmes personnels. Quand Joey se retrouve à l’hôpital après encore un connerie, Dean décide d’aller au pow-wow seul. Tout au long du film, Dean est régulièrement assailli par des visions de lui-même dansant dans ce costume traditionnel qu’il s’est promis de ne plus revêtir. Il le mettra à la fin du film, lorsqu’il arrivera finalement au pow-wow.
L’attitude du journaliste kansan est aussi agréable que son film. Le film a aussi remporté un grand succès dans divers festivals indépendants. A l’image de la plupart des films de la sélection, le DIY semble être une valeur commune aux réalisateurs indiens. Pas vraiment qu’ils aient le choix. Souveraines au sein des Etats-Unis, les nations indiennes ne peuvent compter que sur elles-mêmes. Pour certaines d’entre elles, l’amélioration des conditions de vie fut le résultat de biens involontaires largesses de l’état fédéral. Les territoires désertiques accordés aux Indiens dans le Sud-Ouest des Etats-Unis se sont en effet avérés regorger de pétrole et entre autres victuailles, d’uranium. Bingo. « Nous avons le droit de nous gouverner nous-memes. Nous sommes au niveau des états de l’Union pour ce qui est de la législation à l’intérieur des réserves, mais nous sommes toujours sujets aux stipulations gouvernementales. Si un état passe une loi, elle ne s’applique pas vraiment aux réserves. » Le pouvoir change petit à petit de mains. Les tribus étant souveraines sur leur territoire, ces dernieres années ont vu les casinos se multiplier sur les réserves, au grand dam d’états où, souvent, les jeux d’argent sont interdits. Les casinos indiens qui emmerdent tellement le monde sont une source de revenu non-négligeable, lorsqu’ils parviennent à gagner de l’argent.
Pour Ernest, plus que le spectre des jeux d’argent, c’est l’idée d’indiens indépendants qui pose problème aux états. « Les gens disent que c’est une sale manie, que la mafia contrôle tout, que c’est facile pour le crime organise de s’introduire dans le business, mais on n’entend plus personne quand Chicago essaye d’ouvrir son propre casino. Ce n’est plus une sale manie, c’est une opportunité pour la ville ! eh bien c’est tout ce que nous faisons, nous construisons des opportunités pour nous-memes, nous essayons de gagner un pouvoir monetaire, parce que la seule chose que le gouvernement comprenne c’est le pouvoir du dollar. »
Les communautés indiennes urbaines ont ouvert la voie à des organisation intertribales qui mettraient de côté les vieilles querelles. La cohabitation forcée a été pour beaucoup dans les rapprochements constatés jusqu’à présent.
L’American Indian Movement, le principal mouvement politique indien américain, est ainsi né à Minneapolis à la suite du Relocation Act, et l’organisation se veut intertribale. « Les indiens aux USA se sont installés dans leurs réserves, et le monde de la réserve et le monde extérieur, ca fait deux. L’AIM a été le premier groupe à dire qu’on est tous dans le meme bateau. »
Elle a cependant une position ambiguë dans la communauté indienne. « Il y a eu beaucoup de violence par arme à feu, de la part de l’AIM et de membres de tribus. Après Wounded Knee [2], quand nombre des leaders de l’AIM ont été trainés en justice, c’était comme une guerre civile, parce que la violence avait aussi lieu à l’intérieur des tribus entre factions opposées, et l’AIM a récolté cette réputation d’activistes à gachette facile. » Ces derniers temps, l’AIM s’est notamment fait entendre au sujet des mascottes racistes d’équipes sportives telles les Fighting Illini de l’Université d’Illinois et leur chief Illiniwek [3] La popularité de ces équipes assure une tribune facile aux mouvements indiens, qui peuvent en porfiter pour parler des autres problèmes auxquels la communauté doit faire face. « On peut commencer de grandes campagnes pour soutenir les candidats qu’on veut voir élus, élire plus de Démocrates pour nommer plus d’indiens a des postes de responsabilité. Je pense que ca finira par arriver, s’il y a un effort coordonné commun a toutes les tribus. Il existe une certaine ségrégation entre les tribus depuis longtemps. Ca prendra du temps mais ca viendra. »
- Jonathan et ses potes dans Moccasin Flats de Randy Redroad.
L’éveil du cinéma indien fait partie intégrantede ce mouvement vers la visibilité. Cette édition du festival aura été la plus réussie à ce jour. Mais en attendant, Ernest ne chome pas. Ecrivain à ses heures, Ernest continue unetraditionfamiliale:samère était conteuse dans sa réserve. Le court-métrage d’Ernest est la première partie d’un projet visant à explorer son histoire familiale et culturelle. La suite de Once Upon a Time in Skokie explorera l’influence de sa mère sur Ernest, et enregistre la première rencontre de ses deux familles dans sa réserve, au Wyoming. Mariée à une Américaine d’origine allemande et irlandaise, Ernest est le beau-père de deux petites filles d’origine chinoise. Intitulé Once Upon a Time on the Rez, le prochain documentaire d’Ernest est actuellement en salle de montage. Il constituera la deuxième partie d’une tétralogie : "Il doit y avoir quatre parties, c’est plus représentatif de mon peuple. Quatre est un nombre sacré chez les Arapahos."
Ernest est plutot actif comme gars. Il a écrit un roman qu’il essaye de faire publier. Entre autres activités, il présentait ce mois-ci des dessins et esquisses dans une exposition intitulée : Dissipating Indians. Il a aussi fini un script pour un long-métrage : « Je suis en train de le retravailler. C’est un film d’action, l’invincible tueur a gages indien. Je pense qu’on peut mettre des indiens dans les films grand public hollywoodiens. Si Graham Green jouait les roles de Bruce Willis, et-ce que ce serait un grand problème ? Je ne pense pas. » Ernest ajoute avec un sourire : « Je veux être le premier indien vendu a Hollywood ».
Alors bon vent, Ernest. J’ose croire que se vendre à Hollywood est juste une manoeuvre pour répandre le complot spirituel indien. Mais allez savoir. Les Indiens ne sont plus vraiment ce qu’ils étaient...